Premier film de Clément Cogitore et présenté à la Semaine de la Critique 2015, Ni le ciel ni la terre met en scène des soldats français dans un enfer afghan où le brûlot politique, le polar et le film fantastique se côtoient sans cesse. Avec Jérémie Renier, Kévin Azais, Swann Arnaud… Disponible en DVD
Du cinéma transgenre
Dans le dossier presse du film « La France » de Serge Bozon, il était indiqué, si la mémoire de ce chroniqueur est exacte “visualisez tout ce que vous savez sur les films de guerre et oubliez les”. La même injonction pourrait s’appliquer au film de Clément Cogitore, tant le jeune cinéaste s’amuse à brouiller les pistes et confondre les genres. L’action prend place près d’un poste de frontière en Afghanistan où la division du Capitaine Antareus (Jérémie Renier, tout en retenue) est en charge de maintenir les talibans dans les montagnes et de protéger le village à proximité. Sauf que l’équilibre est fragile, et les heurts sont fréquents entre des habitants et des militaires qui ont pour seul point commun d’être fatigués du conflit. Mais un danger, une menace sans visage ni drapeau va unir tous les camps. La nuit, des hommes disparaissent. Mystérieusement, sans laisser de traces, ni au sol ni sur les caméras thermiques.
L’aridité des grandes plaines afghanes, la menace des talibans qui plane, fait d’abord penser à un western de John Ford, les cowboys étant ici flanqués d’un drapeau français. La sensation est compréhensible quand on sait que Thomas Bidegain, qui a déjà apporté sa contribution à « Dheepan » et « Un prophète » (deux films inspirés par le genre) est ici co-scénariste. Mais la force du récit est de ne pas s’en tenir aux premières impressions, d’éviter le “déjà-vu” pour privilégier justement l’invisible. Cogitore filme constamment ce que l’on ne voit pas, l’au-delà du vrai. Face aux vagues de disparition qui mutilent sa garnison, le Capitaine pense à une prise d’otages puis à une désertion. Son tempérament, d’abord rassurant, se fait plus sévère, grondant au point de l’isoler. Ce sont ses certitudes qu’il va devoir abandonner, sa raison qu’il va devoir remettre en cause. Il n’y aura, et ce n’est pas un spoiler, jamais d’explication. Et c’est là que réside la beauté de ce film.
La nuit nous appartient
Des soldats qui disparaissent les uns après les autres sur une terre hostile pourrait faire penser à « Predator ». Mais contrairement au film de John Mc Tiernan, les muscles et la technologie sont inutiles dans ce combat. Comme le témoignent les très belles scènes filmées à la caméra infra-rouge, où les soldats scrutent le terrain de nuit essayant de percevoir l’imperceptible. Car c’est vers la métaphysique et la foi que se dirige l’intrigue (« ni le ciel ni la terre » est une citation extraite du Coran), les soldats sont en effet accusés de dormir sur le sol d’Allah, qui reprend donc ce qui lui appartient. Le Créateur, comme le suggère l’un des protagonistes, aurait décidé d’effacer petit à petit son oeuvre la plus incomplète. Nous. Cogitore tire de cette hypothèse de très belle scènes (souvent nocturnes) où des individus se volatilisent, preuve de la fugacité de l’existence. Hier, les soldats étaient habitués à ramasser les mille morceaux de leurs compagnons d’armes, victimes du caractère aléatoire des bombes. Aujourd’hui, ces soldats se volatilisent mais sans laisser de traces, avec une certaine poésie, rappelant la très bonne série « The Leftovers » de Damon Lindelof où la population disparaît mystérieusement. Le même soupçon de châtiment sacré plane.
Ce que montre surtout « Ni le ciel ni la terre », c’est l’impuissance de la technologie militaire face à la foi, parabole à l’enlisement militaire dans cette région du monde. Que peuvent faire des soldats dominés par la raison face à des croyances suprêmes ? C’est la première révélation du film. La seconde c’est que, finalement, le cinéma politique français existe.