À mon âge je me cache encore pour fumer est le premier film de Rayhana Obermeyer : l’adaptation de sa pièce de théâtre éponyme. Il est sorti en salle le 26 avril 2017 et on espère l’y voir encore pour longtemps.
« Au cœur du hammam loin du regard accusateur des hommes, mères, amantes, vierges ou exaltées islamistes, des fesses et des foulards de Dieu se confrontent, s’interpellent entre fous rires, pleurs et colères, bible et coran… avant le sifflement d’un poignard et le silence de Dieu. »
Tel est le synopsis de notre immense coup de coeur, pour A mon âge je me cache encore pour fumer :
Une adaptation :
Le film de Rayhana Obermeyer est donc l’adaptation de la pièce de théâtre éponyme, elle est mise en scène par le metteur en scène et scénographe Fabian Chappuis. Sa pièce est une création de la Maison des Métallos et a été tournée de 2010 à 2012.
Dans cette tragi-comédie nous retrouvons 9 femmes de conditions diverses, elles sont interprétées par Marie Augereau, Géraldine Azouelos, Paula Brunet-Sancho, Linda Chaïb, Rébecca Finet, Catherine Giron, Taïdir Ouazine et Rayhana.
Une ode à la liberté d’expression.
Comme un souffle le film vient caresser nos émotions avec intelligence, grâce et volupté.
Nous sommes dès le début du film portés, portés par les propos d’une femme sur son désir d’amour et d’évasion. Qu’en est-il aujourd’hui? Ces mots ont-ils un sens ? Ont ils d’ailleurs le même sens partout? Être une femme libre est-ce encore une triste utopie ?
Telles sont les problématiques de ce film.
Ce sont les conditions féminines actuelles des femmes musulmanes confrontées à une montée de l’extrémisme religieux qui s’expriment aujourd’hui.
Pourquoi un tel sujet ?
« Les premières règles islamistes que le FIS instaura dans les villes sous son contrôle ont été celles à l’encontre des femmes, devenues ennemies numéro 1 : “ Les femmes sont la racine du mal, cause de la décadence dans le monde, un fléau à mater. Elles sont la cause du chômage, il faut les voiler et les renvoyer chez elles… ”. Fin de la mixité dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les queues devant les boulangeries comme aux arrêts de bus… autant d’aberrations et de violences à notre encontre. Des actes de violence sont alors perpétrés contre ceux et celles qui refusent de respecter leurs règles. J’ai alors pris conscience que nous, femmes, avions plus encore à perdre que les hommes. Que le combat que nous menions depuis l’Indépendance pour l’égalité des droits – bataille encore loin d’être gagnée – avec la montée fulgurante des intégristes, notre avenir devenait passé obscur. » – Rayhana Obermeyer
Un film politique.
Outre les conflits religieux, majeurs dans ce film, un autre plane : celui des frontières concernant les rapports qu’entretiennent l’Occident et le Magreb.
« J’ai écrit la pièce deux ans après mon exil. Un besoin urgent et irrésistible de témoigner et de crier face à l’Occident, sourd et aveugle, qui jouait à ne pas savoir : “ Qui tue qui ? ”. Relayée par les médias, cette phrase nous tuait à coups de “ pourquoi ” alors que les terroristes revendiquaient leurs actions criminelles depuis les places publiques de Londres ou Paris… On les invitait sur les plateaux de télévision, on leur offrait visas, asile politique, de l’argent pour mieux nous assassiner. Je ne pardonnerai jamais à la politique française d’avoir refusé un visa au très grand du théâtre algérien, Azzedine Medjoubi, metteur en scène, comédien et directeur du théâtre national, exécuté peu de temps après à la sortie du théâtre à Alger, dans la rue Molière… » – Rayhana Obermeyer
Non, il n’y pas de personnage principal.
Le personnage de Fatima interprété par Hiam Abbass, est le fil conducteur, il nous guide de femme en femme, d’histoire en histoire.
Elle porte le film d’une force incroyable, mais n’est pas le protagoniste, elle est un élément parmi les éléments. Toutes les femmes sont importantes.
Un huis clos :
C’est dans l’antre d’un hammam d’Alger que l’épopée naît. Dans une atmosphère chaude et embuée, des femmes de toutes générations, de toutes corpulences, nues ou enrobées d’une serviette discutent en arabe. Elles se souviennent, se mettent en garde, débattent de sujets politiques, de leurs désirs et de leurs fantasmes. Nous les écoutons avec tendresse, détresse et tristesse. Pourquoi un hammam ?
« Le hammam s’est imposé du point de vue philosophique et ancestral comme lieu cathartique de mise à nue. Dans ma société le hammam est un des rares lieux où une femme peut aller sans réprimande. Sauf pour les islamistes qui du jour au lendemain ont décidé que le hammam aussi était “Hram” (illicite) car lieu de nudité : une femme ne doit montrer son corps qu’à son époux » – Rayhana Obermeyer
L’origine du conflit
Il nous fallait un prétexte pour se retrouver aussi longtemps dans ce lieu, et ce prétexte c’est encore une femme, une femme enceinte d’un bébé illégitime, elle est recherchée par le frère de son mari, il veut les abattres. Dans les hauteurs du hammam, Fatima la cache et la protège.
Un film plein d’humour.
La grande chanteuse, danseuse et actrice algérienne Biyouna interprète le rôle de Aïcha, sans retenue, elle nous fait rire avec des anecdotes et des répliques à en devenir cultes.
Une mise en scène raffinée.
Bien que ce soit une adaptation de théâtre, il n’y a aucun doute que cette pépite appartienne au genre cinématographique, les mouvements de caméra sont légers et agréables : Ils nous font voyager par leur beauté. C’est d’ailleurs par une envolée de voiles noirs au dessus de la ville que le film se clôture. Des images très symboliques qui nous laissent sans voix.
Dans notre pays, qui est la France, le combat vers la parité, pour nous femmes, n’est certes pas fini, mais devant cette pépite cinématographique nous nous alarmons de ce monde qui va encore si mal.
Un film qui donne de la force face à tant de combativité et de désir de liberté.
https://www.youtube.com/watch?v=W0XGlblvKoE
Courez voir ce film aussi envoutant qu’important !!