Stephen Frears, qui nous avait déjà impressionnés avec son film sur Elizabeth II en 2006, remonte le temps pour nous présenter une reine qui a donné son nom à une période entière, qui évoque la Révolution Industrielle, Dracula, Sherlock Holmes et Oliver Twist : la reine Victoria. Mais dans Confident Royal, ce qui intrigue le spectateur, c’est le fameux confident, qui laisse à penser que le film nous fera passer dans les coulisses de la grande Histoire, avec l’événement qui va marquer la fin d’un sacre qui a été longtemps le plus long. Justement peut-être fût-il trop long pour elle…
Un superbe voyage dans le temps
Les décors dans Confident Royal sont absolument superbes, surtout en ce qui concerne les châteaux de la reine. On nous laisse voir un débordement de luxe que ne semblent pas voir ses occupants. En revanche, les spectateurs seront impatients de découvrir chaque pièce. Ils observeront celles-ci comme un musée et ce à loisir par la magie du cinéma, pour observer les dorures, les sculptures et autres peintures qui en ornent les murs. Il est à remarquer que le décor est mis en avant de manière plaisante à certains moments du film. Par exemple, lors du débarquement de la reine et de son confident au bord d’un lac, où un champ large et une caméra posée quasiment en contre-plongée permettent d’admirer le paysage, de quasiment sentir le froid de ce paysage lacustre typiquement britannique qui semble exister pour être admiré sur écran géant.
Le voyage dans le temps est aussi dans l’observation de la société victorienne, qui est posée dans le film par deux moyens majeurs. Le premier est le regard des deux indiens, dont le fameux confident, qui rappelle les Lettres Persanes de Montesquieu. Le second est une folie du luxe qui rappelle fortement Wes Anderson. En effet, les deux indiens se retrouvent perdus dans un monde aux coutumes implicites, où on exige d’eux la perfection alors qu’ils ne connaissent rien. Le deuxième indien, qui joue le rôle de contrepoids à son camarade ambitieux, servira ensuite à la critique du gouvernement royal qui laisse mourir ses invisibles sujets. Celui-ci par exemple, lors d’une scène de banquet mémorable, voit des serviteurs s’agiter, hurler, se précipiter, dans un capharnaüm incroyable, dans le but ultime d’avoir un service impeccable, avec un humour quasiment burlesque qui peut être parfois agaçant. Mais celui-ci se révèle souvent pertinent et permet d’éviter au film d’être lourd, lui donnant une fraîcheur intéressante dans un monde où des choses anodines dans la vie ordinaire deviennent affaire d’Etat lorsque cela concerne la reine.
La Reine Victoria : forte personnalité et sentiments sincères
Lorsqu’on pense à la reine Victoria, on imagine une femme puissante, devant laquelle on plie le genou sans même y penser. Et c’est le cas dans une grande partie du film : on découvre tout d’abord une femme quasiment vénérée, qui est littéralement suivie par toute une cour et dont même les serviteurs sont une élite de leur classe sociale. Mais surtout, on découvre une femme bien plus contrastée. C’est une vieille femme, qui souffre moralement et physiquement, une femme lassée de vivre. Et il faut reconnaître que Confident Royal est hardi dans sa manière de traiter le sujet. Voir le reine Victoria qui, lors d’un dîner officiel où tout le personnel est tenu d’observer la tenue la plus stricte, s’endort, se nourrit avec une rudesse qui confine à l’impolitesse la plus totale, avec de la nourriture qui lui colle au visage, et ce sans aucune retenue, est à mourir de rire de par son décalage. Mais elle est également d’une grande tristesse, se révélant être une vieille dame épuisée, qui veut que cette vie finisse enfin. De même, un instant avec son visage en gros plan, où elle dit fort ce qu’elle pense et ressent, est particulièrement puissant. Chaque ride rappelle son humanité, qu’elle a existé, que le film nous donne à voir, à défaut de ce qui est vrai, un sentiment de réalité comme on en ressent peu. De plus, ses traits résolus nous imposent leur force dans ce visage de monarque fatiguée par les pressions d’une cour corsetée par l’étiquette et les traditions.
Le confident royal : libérateur de Victoria
Le confident, le fameux indien Mohammed Abdul Karim, bouleverse la mélancolie royale. Bien sûr, il offense la bienséance et choque l’entourage royal. Mais cela n’est pas tout : en effet, si cela s’arrêterait à quelques pitreries rappelant l’ingénu du conte du même nom de Voltaire, le film ne présenterait qu’un intérêt limité. Il ne s’agit pas d’une comédie qui se moque d’un ignorant. Cela va bien au-delà. En effet, il s’agit de l’ambition du jeune homme parti de rien, qui s’affirme comme un humain et non pas le stéréotype vivant qu’on aimerait faire de lui. Mais aussi, et surtout, de sa relation avec la reine, qui bien que le servant lui-même, va aussi servir la reine, la sortant de sa mélancolie profonde par la nouveauté de sa pensée et de ses enseignements. Il donne à la reine l’occasion de rajeunir, d’avoir quelqu’un pour la comprendre et surtout donne lieu à un amour impossible. Ce dernier va tourmenter la reine, mais aussi ressusciter ce qu’on interdit aux vieilles aristocrates : l’amour. La mise en scène d’un amour sans arrêt sous-jacent, qui ne demande qu’à éclore mais qui ne peut rester que bourgeon, qui fait frémir le spectateur devant cette jeune fille qui renaît sous les rides. L’amour platonique est un amour véritable et impossible dans ce film, qui fait sentir un poids sur la poitrine du spectateur. Et c’est bien là que le personnage rend la reine plus vivante que jamais, à un instant où elle n’attendait que la mort, et qui justifie le film tout entier.
Confident Royal est un film qui vous fera rire par un traitement à la Wes Anderson, mais aussi réfléchir sur le sens de la vie d’une reine et de toutes les pressions sociales subies par une femme de son rang. Avec un traitement sérieux servi par des choix de mise en scène et des plans hardis, ce biopic observant une si grande dame dans des décors somptueux mérite grandement d’être découvert.