Sophie Dulac, Présidente du Festival :
« Si la jeune génération croit en l’avenir du monde, alors j’y crois aussi »
Sophie Dulac est une personnalité qui compte dans le cinéma français. Elle en connait tous les rouages puisqu’elle est à la fois productrice, distributrice, exploitante de cinq salles parisiennes historiques (l’Arlequin, le Reflet Médicis, l’Escurial Panorama, le Majestic Bastille et le Majestic Passy). Créée en 2003, sa société Dulac Distribution s’intéresse au cinéma d’auteur français et international, ainsi qu’aux films de répertoire. En 2012, elle lance son Festival sur l’avenue des Champs-Elysées où son grand-père, Marcel Bleustein-Blanchet, créa le groupe Publicis il y a quatre-vingt quinze ans. Alors que le Festival bat son plein et qu’elle est très sollicitée, elle prend le temps de répondre à mes questions. Entretien avec une femme entière, impliquée, arrivée au cinéma tardivement mais qui y consacre, depuis, une folle énergie.
Vous avez fait d’autres métiers, eu d’autres vies avant le cinéma. Le cinéma représente quoi, pour vous ?
Bonne question ! Je suis diplômée de psycho-graphologie, un univers qui n’a rien à voir. Et puis des opportunités se sont présentées à moi. Aujourd’hui, cela fait vingt ans que je fais ce métier. Je dirai que le cinéma, pour moi, c’est la possibilité d’expliquer pourquoi la culture est essentielle, contrairement à ce qu’a pu dire le gouvernement ces derniers temps. Essentielle pour cultiver les jeunes générations, pour leur permettre d’avoir une liberté de penser. De garder leur indépendance. Et ça, pour moi, c’est fondamental.
L’indépendance est au cœur de votre Festival. Quel est votre lien avec le cinéma américain ?
Adolescente, mon père me trainait (trainer, c’est le terme exact !) au Studio Bertrand, qui ne passait que des films américains. Des films de patrimoine que peu de gens connaissaient car ils n’étaient distribués nulle part ailleurs. Mon amour du cinéma d’auteur américain vient de là. C’est un cinéma très riche, singulier, qui porte un regard acéré sur les questions de société. Malheureusement, en France, les distributeurs de taille moyenne n’osent pas montrer ces pépites. Ils préfèrent jouer la sécurité avec des grosses productions. Le Champs-Elysées Film Festival montre des films français et américains qui n’ont pas encore de distributeur. Il me semblait intéressant de créer un pont entre ces deux cinémas. A l’issue de la compétition, les longs-métrages récompensés seront chacun dotés de 11 000 euros pour l’aide à la distribution et à la sortie en salles, qui seront remis aux distributeurs. Si le film en est dépourvu, un distributeur français aura un an pour l’acheter et recevoir la dotation.
Quelles sont les différences entre la France et les Etats-Unis en termes de création, de production et de distribution ?
Une des particularités françaises est le nombre de films distribués. En France, chaque année, 700 films de toutes nationalités sortent en salle. C’est beaucoup. Et nous produisons des films qui n’ont pas toujours beaucoup d’intérêt. Aux Etats-Unis, les films indépendants n’arrivent pas à se faire produire, ni à être distribués, car ils ne sont pas jugés suffisamment rentables. Au niveau de la création, il y a une esthétique propre au cinéma américain et qui vient de la physionomie du pays : des décors naturels grandioses. La différence se joue aussi au niveau des points de vue. Le cinéma indépendant américain est plein d’une énergie positive, qui se ressent dans les œuvres et dans la personnalité des auteurs. Les français, à côté, peuvent paraitre un peu blasés. Pendant le Festival, les réalisateurs américains venus présenter leur film veulent découvrir le travail des autres, voir tous les films. Ils sont curieux, enthousiastes, heureux d’être là.
Les années précédentes, vous avez accueilli des stars : Jeff Goldblum, Christopher Walken, Abel Ferrara, Jérémy Irons… Comment ont-elles réagi à votre invitation ? Se sont-elles facilement laissées convaincre ?
La grande difficulté ce ne sont pas les stars mais leurs agents. Il est impossible de contacter une star en direct, à moins d’avoir son mail ou son numéro privé. Ce qui est rare ! Et par principe les agents commencent par dire non, pour ne pas se mettre dans une situation délicate. Alors il faut insister et quand l’invitation parvient jusqu’à la star, là, les verrous sautent. Il suffit de prononcer les trois mots magiques, Champs-Elysées, Paris, Juin (car d’habitude, le Festival a lieu en juin) pour qu’elles disent oui. Si elles ne sont pas en promo. Ces stars sont avant tout de grand.e.s professionnel.lle.s, qui tiennent leurs engagements. Une fois à Paris, elles jouent le jeu à fond, se prêtent de bon cœur à tout ce que nous leur demandons. Je n’ai que de bons souvenirs de leurs venues au Festival. Des instants magiques.
Quelques mots sur la programmation ?
Tous les films projetés dans le Festival sont importants dans leur spécificité et l’histoire qu’ils racontent. Cryptozoo, par exemple, est un film d’animation complètement déjanté. Topside, la très belle histoire d’une mère et de sa fille qui vivent dans le métro à New-York. Sleeping negro, une réflexion très personnelle sur la condition d’être noir. Et en plus le réalisateur, Skinner Myers, est très sympathique.
Votre société, Dulac Distribution, distribue des films d’auteur français et international mais aussi des documentaires. C’est important, que le cinéma soit une fenêtre sur le monde ?
Très important. Une fenêtre sur le monde entier. Ce qui permet de comprendre ce qu’il se passe et de pouvoir dire : je sais, et j’aime ou je n’aime pas. Savoir avant de croire. Cela va à l’inverse des réseaux sociaux qui exhibent des images sans expliquer, ou en expliquant mal. Le cinéma a un côté très ludique, aussi. On voit un film pour s’instruire et comprendre le monde, mais aussi pour s’amuser.
Etes-vous confiante en l’avenir du monde ?
J’ai une petite-fille d’un an, alors je ne peux être que confiante. Deux choses me rassurent, quand j’observe les jeunes gens autour de moi. D’abord leur motivation, leur volonté de s’impliquer, de bien faire. Et puis leur capacité à s’adapter aux situations, à se dire « On doit faire avec ». La jeune génération a une grande liberté d’expression. Si elle croit en l’avenir du monde, alors j’y crois aussi.
Thomas Lilti, Président du Jury Longs métrages : « Je prends mon rôle avec humilité »
Thomas Lilti a exercé la médecine pendant plus de dix ans et a fait de son expérience la substance de ses films, mélange de chronique sociale, d’éléments autobiographiques et de sentiments romanesques. Auteur et réalisateur entre autres d’Hippocrate, de Médecin de campagne et de Première année, il écrit et réalise en 2018 la première saison de la série Hippocrate pour Canal+. En mars 2020, le tournage de la saison 2 est interrompu par la crise sanitaire du COVID-19. L’occasion pour Thomas Lilti de reprendre transitoirement le chemin de l’hôpital comme soignant. De cette expérience, il en tire un récit édité chez Grasset : Le Serment et paru en janvier 2021. La saison 2 d’Hippocrate est diffusée en avril 2021.
Parlez-nous de votre rapport au cinéma.
Tout a commencé dans l’enfance. J’ai le souvenir d’une enfance heureuse, mais ennuyeuse. Je me suis beaucoup ennuyé à l’école, alors j’ai développé un imaginaire pour lutter contre cet ennui. L’envie de raconter des histoires vient de là. Ma mère était professeur de lettres mais je n’ai jamais été un très bon lecteur, alors je me suis retranché dans les films. Au lycée, j’ai dit à mes parents que je voulais faire des études de cinéma mais ils m’ont demandé de faire médecine, comme mon père. J’ai cédé à la pression familiale mais l’envie de cinéma ne m’a jamais quitté. En 2007, j’ai réalisé mon premier long-métrage, Les yeux bandés. L’accueil n’a pas été bon. Pour Hippocrate, j’ai réuni mes deux univers de prédilection : la médecine et le cinéma. L’alchimie a fonctionné, le film a été un succès et le début de mon aventure.
Pourquoi avoir accepté la Présidence du Jury ?
En 2014, j’ai présenté Hippocrate dans ce Festival, pour la troisième édition. Un moment très important pour moi car ce film a été décisif pour la suite de ma carrière. Et puis, le Festival se passe sur les Champs-Elysées, où j’allais voir des films avec mes copains dans les années 90. Le Lincoln, le Balzac, le Publicis… Des salles que je fréquentais beaucoup. J’habitais la banlieue Ouest et je venais avec le RER A. Après le film, nous allions boire un verre, grignoter, et je reprenais le RER pour rentrer. Ce sont de grands, et beaux souvenirs. A cette époque, les Champs-Elysées incarnaient le cinéma, ce qui est moins le cas aujourd’hui. Outre le fait que j’aime le cinéma américain, j’ai accepté car Sophie Dulac est une grande personnalité du cinéma. C’est une femme exigeante, courageuse, qui croit au cinéma et se bat pour les jeunes auteurs. C’est très dur, aujourd’hui, de voir des films indépendants en salle parce-que les comédiens ne sont pas connus, entre autres. Le Champs-Elysées Film Festival, c’est le seul moment pour voir ces films, pour qu’ils soient découverts par le public.
Je prends ce rôle de Président avec beaucoup d’humilité. D’ailleurs, je me considère plus comme un membre du Jury parmi les autres. Pour moi, c’est l’immense occasion de pouvoir partager mon goût pour le cinéma, de voir des films avec bienveillance et d’en parler, d’échanger avec les autres membres du Jury. Nous sommes tous différents mais nous nous entendons très bien.
Comment se porte le cinéma aujourd’hui ?
Mal. Les entrées ont chuté et avec elles, l’argent pour pouvoir produire des films. La filière tout entière est en difficulté, les producteurs, les distributeurs, les exploitants. Mais paradoxalement, cette crise fait que les gens se posent des questions. Ils ont envie de faire des films intimes, personnels, mais qui vont toucher le public. C’est un gros défi. Une des principales difficultés, aujourd’hui, c’est l’absence d’éditorialisation, de conseils sur les films à voir. Chaque semaine, il y a beaucoup de films qui sortent en salle et le spectateur est perdu. Un ou deux films seulement vont émerger, sortir du lot. Les autres ne resteront que peu de temps à l’affiche, et disparaitront avant que le public n’ait eu le temps de les voir. Il y a trop de films car nous avons perdu le côté cinéma de quartier.
On voit beaucoup de premiers films, mais il y a aussi beaucoup de réalisateurs qui ont du mal à se faire produire.
L’accès aux métiers du cinéma est difficile. Enormément de gens rêvent de faire du cinéma et il y a une offre importante de formations qui nourrissent et encouragent ce rêve. A mon époque, ce n’était pas le cas. Il y avait La Fémis, Louis Lumière et c’est tout. Faire un film demande du talent mais surtout beaucoup, beaucoup d’énergie.
Jusqu’au 21 septembre.
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