Les fantômes d’Ismaël est le 12e film d’Arnaud Desplechin, avec lequel il a l’honneur de faire l’ouverture du 70e Festival de Cannes. Il le présente hors compétition, un an après avoir fait partie du Jury de la croisette. Le réalisateur reprend Matthieu Amalric en tant que rôle titre, 2 ans après 3 souvenirs de ma jeunesse qui lui avait valu le césar du meilleur réalisateur.
Matthieu Amalric incarne Ismaël, auteur/réalisateur d’une cinquantaine d’années torturé par son travail envahissant et par le souvenir de sa femme disparue sans raison il y a 21 ans. Lorsque elle (Marion Cotillard) réapparaît soudainement, il est dans sa maison en bord de mer avec Sylvie (Charlotte Gainsbourg). Déjà victime de cauchemars chaque nuit, Ismaël se retrouve bouleversé par son amour de 20 ans qu’il avait dû déclarer morte au bout de plusieurs années. Dans un lieu de repos et de détente, l’accueil de Sylvie va laisser place à un tourbillon de sentiments entre les 3 personnages ; le tout entrecoupé par les récits romancés de l’histoire d’Yvan, le frère d’Ismaël (Louis Garell) que celui-ci rédige pour son prochain film.
La puissance d’une retrouvaille
Les choix de mise en scène de Desplechin paraissent paradoxaux. Un jeu d’acteurs pas toujours juste malgré un casting à la hauteur de sa réputation. Pourtant, les joies, les peines et surtout les malheurs sont si forts que le spectateur se met à ressentir ce tourbillon d’émotions de la mêmes manière que les personnages. La direction étonnante devient alors autobiographique et s’éparpille dans le dramatique, le trop théâtral. Sans doute un souhait du réalisateur dira-t-on, mais cela ne conviendra pas à tout le monde. Dans Les fantômes d’Ismael, on n’arrive pas à s’attacher aux personnages, malgré leur ampleur et un développement qui les rend chacun attractifs. On peut tout de même avoir de la peine pour eux et cette première partie prend tout son intérêt lorsque Carlotta réapparaît sur la plage. Elle fait connaissance avec Sylvie, la compagne d’Ismaël, et là, on attend le moment ou ce dernier va la revoir dans une scène puissante qui fait palpiter. Coup de chapeau à l’artiste qui a peint le portrait d’une Marion Cotillard à 20 ans qui s’avère tellement parlant.
Place à une folie mentale
Malgré la force des dialogues extrêmement bien pensés et d’une immense efficacité, l’histoire de chacun commence à diverger pour laisser peu à peu toute la place à Ismaël. Il est le portrait un peu trop cliché d’un réalisateur perdu dans sa tête et dans sa vie qui finit par fuir le tournage de son propre film. La suite ne colle plus avec la ligne directrice. Cette névrose quasi-extrême que décrit Desplechin est trop personnelle et l’on n’y trouve plus notre intérêt. Matthieu Amalric peut être génial, drôle, touchant mais est-ce suffisant ? Quant à Louis Garrel, il s’inscrit dans un registre intéressant dans ce rôle fictif d’Yvan, un autre fantôme d’Ismaël, puisqu’il se trouve être son frère qu’il n’a pas vu depuis des années. Ce récit accompagné d’une belle musique digne des meilleurs films d’espionnage constitue une histoire indépendante et parallèle à celle, plus réelle, des protagonistes.
Arnaud Desplechin affirme en conférence de presse que ce film présenté à Cannes est une des 2 versions qu’il a concocté. Celle-ci, plus sentimentale et plus compréhensible est appelée version Française. On n’imagine donc l’autre version (appelée V.O) pour les plus courageux, qu’il annonce comme plus personnelle, et mentalement profonde. Plus centrée sur Ismaël, que sur ce triangle de personnages qui s’avère être bien plus intriguant.
Avec une fin qui n’est pas inscrite dans la logique de développement de son histoire, cette version « VF » des Fantômes d’Ismaël s’avère trop contrastée pour être plaisante de bout en bout. Toutefois, elle vaut le déplacement si vous êtes amateurs de ce beau casting.