Yougo, un conscrit casque bleu

0
403

Alors que les tensions internationales montent et que les conflits se multiplient, il était important de voir comment des individus luttent pour la paix. David Cénou s’en charge dans Yougo.

Rentrer en lutte contre la guerre

Comme le titre l’indique, Yougo est un voyage en Yougoslavie mais également dans le passé. Nous sommes en juin 1992 où moment où les différentes nationalités du pays sont en conflit pour leur indépendance. Si vous pensez avoir oublié vos cours d’histoire, une carte au début de Yougo situe les principaux lieux et camps du conflit. Des flashs d’informations retracent les évènements importants. C’est au travers des yeux de Samuel Marchadier, arrivant à Bihać en Bosnie-Herzégovine que le lecteur comprend la complexité du conflit. En effet, Cet appelé du 126e régiment d’infanterie de Brive-la-Gaillarde se déclare volontaire pour participer à une mission au service de l’ONU. En tant que pilote de véhicule de l’avant blindé (VAB), il découvre la réalité de la guerre. Avant de partir, il reçoit un cours d’histoire, mais la plupart des soldats dorment.

Comme le montre la préface du journaliste Benjamin Jung, Yougo décrit la guerre au jour le jour. On ressent le froid. On voit la rigueur de la discipline. Certaines informations sont assez crues : comment faire des besoins dans un véhicule blindé quand on ne peut s’arrêter.

Yougo nous fait également comprendre la mission complexe de maintien de la paix. Le régiment de Samuel intervient dans la Force de protection des Nations Unies (FORPRONU) qui doit séparer les camps et protéger les civils. Cependant, l’armée française n’est pas idéalisée. Elle est une machine à créer des clones. Un racisme léger et l’homophobie sont tolérés. Pour se faire obéir, le formateur use de violence. Malgré tout, la fraternisation se fait au sein de l’équipe du VAB. Si on peut trouver son dessin frustre, David Cénou se place au service de la narration. La lecture est fluide. Faisant passer l’information dans les dialogues, l’auteur évite de multiplier les textes comme dans de trop nombreux reportages en bd.

Une fraternisation dans Yougo
Une fraternisation dans Yougo

L’effondrement d’un nationaliste

Yougo, écrit et dessiné par David Cénou, est en grande partie autobiographique. Comme Samuel, David Cénou a été skinhead jouant dans un groupe punk nationaliste dans le Sud-Ouest de la France. Il avait raconté cette jeunesse d’excès en tout genre dans Mirador, tête de mort. Samuel porte la tenue du néo-nazi : crâne rasé, jeans trop courts, Dr. Martens et veste en cuir noir. Il est également parti en mission en Yougoslavie. Ce voyage a participé à une prise de conscience remettant en question ses délires racistes et xénophobes.

Dans Yougo, David Cénou ne se met pas en valeur. Samuel Marchadier est totalement nourri par l’antisémitisme au point de jouer dans un groupe punk nommé La Cinquième Colonne. Le récit est si honnête qu’un ajout précise bien que l’auteur a évolué et ne se reconnaît plus dans les propos du personnage principal. Cénou ne se présente pas comme un héros mais comme imposteur. Effectuant son service militaire, il a vu l’opportunité d’aller en Yougoslavie pour devenir un homme en montrant son courage et en luttant pour son pays. Plus prosaïquement, cette mission grassement rémunérée est également un moyen de renflouer ses comptes. Samuel est séduit par la discipline et les paroles patriotiques de l’armée française. Il se pense respecté mais l’ensemble du bataillon le met de côté. Le lecteur voit surtout un homme si perdu qu’il est proche du suicide. Cette mission n’est pas pour sauver ni les autres, ni lui-même, mais pour se perdre.

Édité par La Boîte à Bulles, Yougo est une plongée dans la guerre de Yougoslavie vue par un soldat de l’ONU. On ne verra pas la violence du conflit, mais le quotidien d’un homme perdu. Il espérait vivre la grande aventure, un moment marquant de sa vie. Cependant, Samuel est surtout un jeune perdu qui dissimule son mal-être profond derrière la façade d’un néo-nazi odieux.

Découvrez sur JustFocus d’autres reportages en bd dans A quoi pensent les Russes et Au crépuscule de la Beat Generation.