Que diriez-vous d’assister à la rencontre entre Voltaire et Newton ? Mais, dans cette série animalière, éditée par Delcourt, l’écrivain français est une cigogne, le scientifique anglais un épagneul, et ce n’est que la première des surprises de ce tome.
Entre l’Histoire…
Le lecteur rencontre des écrivains majeurs de la pensée occidentale dès la première case de Voltaire et Newton quand Jonathan Swift discute avec Voltaire. Le philosophe français est bien venu à Londres dont il admirait le système politique et la tolérance religieuse (relative à l’époque). Il était également passionné par la science. Même connu en Angleterre, Voltaire doit intégrer un réseau de relations pour espérer rencontrer un personnage puissant tel que Newton. Les études des historiens prouvent que Voltaire a seulement assisté aux obsèques de Newton. Ce scientifique vivait en campagne à Cranbury Park. Il était bien franc-maçon et Miss Barton, sa nièce, était bien très proche de lui. Même dans un récit animalier, le scénariste Mitch intègre donc des éléments historiques. De plus, les dialogues imitent le style du Grand Siècle.
… et le zoo
Dans Voltaire et Newton, si le point de départ et des éléments sont historiques, toute la suite est inventée ce qui est loin d’être surprenant dans un récit où les humains sont remplacés par des animaux. On s’amuse d’ailleurs à comprendre la sélection selon le personnage historique. Swift est un lapin et Mrs. Barton un serpent. Le choix de l’animal correspond parfois à l’âge. Très âgé, Newton est un chien à la gueule fatiguée. La sélection est liée à la caractérisation de Voltaire. Il est en héron car cet intellectuel est posé, élégant mais, quand il s’emporte, il sort vite son épée. On apprend que cette habitude lui vient d’une mauvaise rencontre en France. Au contraire, des autochtones américains restent en humains. On peut y voir le souhait de valoriser ce peuple qualifié de « barbare » au XVIIIe siècle. Pour rendre humains ces animaux, il faut le talent du dessinateur Baudruret. On peut néanmoins regretter les marques très visibles de sa colorisation.
Si on met de côté les animaux, le scénario reste au départ dans les rails de la bd historique. Par l’intermédiaire de la nièce de Newton, les deux hommes se rencontrent secrètement. Une intimité se déclare autour de leur conception commune de Dieu. Ils rejettent le clergé et les dogmes mais admettent l’existence d’un dieu ordonnateur du monde. Miss Barton échange d’ailleurs à égalité avec eux dans une vision contemporaine mais aussi plausible à l’époque pour l’élite.
Voltaire et Newton nous surprend en basculant dans le steampunk quand Newton dévoile sa dernière invention, le Forslo. Il s’agit d’un bateau volant qui doit permettre au savant de prouver ses théories mais il est trop âgé. Il voit en Voltaire en assistant qui palliera ses problèmes physiques mais ce dernier reste sceptique. Ce moment montre que les deux hommes sont différents. Ils forment alors un duo opposé, un classique de la bd d’humour mais c’est sans compter sur miss Barton. Hélas, un incident disperse ces voyageurs dans trois régions différentes qui sont la réalisation de leur théorie politique. En effet, lors du repas, chacun prêche pour son utopie politique : un monde réglé par la science, une assemblée de femmes et le despotisme éclairé. Chacun constate qu’entre la théorie politique et la réalité un fossé existe.
Le premier tome de Voltaire et Newton lance avec humour une série pleine de surprises. On découvre des savants en animaux. Puis, le lecteur s’amuse des blagues potaches et de scénettes plus proches d’Astérix que de Blacksad. Enfin, il se demande s’il ne vient pas surtout de lire un livre sur les dangers des utopies politiques des Lumières. La suite apportera une réponse… de nouvelles surprises.
Vous pouvez retrouver sur ces liens d’autres chroniques sur des bd historiques avec Lewis & Clark et Pie VII.