Plusieurs personnages naviguent entre le fantasme et la réalité. Tel est le cas d’Henri Charrière, un bagnard devenu célèbre par sa biographie romancée. Dans La vie rêvée d’un papillon, deux artistes reviennent avec élégance sur ce génial mythomane.
Il est libre Henri
Selon votre âge, vous pourriez connaître « Papillon » par l’autobiographie d’Henri Charrière chez Robert Laffont ou le film avec Paul Newman et Dustin Hoffman. Cependant, La vie rêvée d’un papillon revient au début de l’histoire. Henri Charrière a été condamné à perpétuité au bagne de Guyane dans les années 1930. Il tente une première fois de fuir avant d’être repris et d’être envoyé une maison de châtiments. Cependant, Henri Charrière réussit à s’enfuir au bout de treize ans et se cache à Caracas où il dirige une boîte de nuit dans les années 50. Régulièrement, entre deux bras féminins et deux verres d’alcool, il y raconte sa vie ce que La vie rêvée d’un papillon montre. Hélas, il est ruiné après un tremblement de terre. Il se lance dans l’écriture de sa vie. Son autobiographie Papillon se vend à plus de 15 millions d’exemplaires vendus. Le succès est tel qu’il devient un film qui sort le lendemain de sa mort. Le titre peut surprendre mais le papillon est intimement lié à l’histoire d’Henri. Fait rare à l’époque, il porte un tatouage de l’insecte sur le torse. C’est par des sorties pour les chasser qu’il a pu préparer son évasion. On peut les voir voler tout autour des bagnards.
On découvre donc dans La vie rêvée d’un papillon qui reprend des passages du livre. L’argot parisien resurgit au fil des pages et nous plonge dans une autre époque. Le monde du bagne est violent car, en raison des maladies tropicales, 80% décèdent avant la fin de la peine. De plus, la loi du plus fort règne dans la prison. Le lieu est également inégalitaire. Les prisonniers doivent payer pour obtenir les produits essentiels. Pour éviter les vols par les codétenus, les bagnards cachent leurs billets dans un tuyau en métal placé en eux. Nous vous épargnons les détails. Pour survivre, il est important de ne pas être seul. Henri se lie dès le paquebot avec Louis Delga puis Cluziot. Cependant, La vie rêvée d’un papillon montre aussi des rides en lien avec la date de rédaction de la biographie. Des détenus tiennent des propos homophobes. Les femmes sont absentes ou des objets du désir des hommes.
Il invente Henri
Cependant, cette biographie est rapidement remise en cause. Henri Charrière aurait romancé une bonne partie de sa vie. Plutôt que de chercher à rétablir la vérité, le scénariste Sylvère Denn écrit en parallèle la version romancée et les faits réels. Dès l’enfance, elle a été fan du livre puis du film. Ses dialogues montrent bien l’obsession d’Henri Charrière : être libre. Les dialogues illustrent son caractère rude et son manque d’éducation. Il faut dire que le scénariste a lui-même un parcours atypique où il a multiplié les métiers (de négociateur immobilier à barman).
Depuis Bleu Amer, Sylvère Denn a trouvé une partenaire en la personne de la dessinatrice Sophie Ladame. Artiste peintre, elle a publié plusieurs carnets de voyage et l’on retrouve ce genre dans La vie rêvée d’un papillon. La forme brute et vive du dessin évoque aussi un dessin pris sur le vif comme si un bagnard dessinait en secret. Les premières pages démontrent également sa passion pour la mer et les voiliers. Elle sépare les périodes historiques. Les pages du récit de Papillon au bagne sont réalisées sur du papier kraft avec des touches de couleur bleu clair. Même si ce n’est pas son point fort, Sophie Ladame représente la cavale des bagnards. Une fois sortie de prison, la mise en page s’élargit. Les cases s’effacent, les double pages sont plus nombreuses. On peut voir la trame du papier au-dessus des coups de pinceau. Sa vie après l’évasion se place dans des pages blanches en noir et blanc. Les cases où Henri fantasment sa vie sont réalisées sur une carte ancienne.
Éditée par La Boîte à Bulles, La vie rêvée d’un papillon est une œuvre atypique. Refusant la plate biographie, Sylvère Denn et Sophie Ladame s’emparent du mythe d’un bagnard épris de liberté pour exploser les cadres. La nature et la navigation intéressent davantage la dessinatrice que l’action.
Retrouver d’autres œuvres biographiques sur le site avec Le dernier sergent et The Velvet Underground.