Les médias parlent de l’insomnie comme le mal du XXIe siècle, mais le monde ne serait-il pas pire si on dormait 20h par jour ? Yann Bécu pose la question dans Morpheus et on vous apporte la réponse dans la chronique…
Dodo l’humanité dort
Yann Bécu écrit avec Morpheus une adaptation de son roman Les Bras de Morphée qui inventait un monde très neuf. En effet, la civilisation européenne s’est effondrée en raison d’un virus. Cependant, oubliez les zombies et autres métamorphoses horrifiques, le sommeil est le principal symptôme dans ce récit de science-fiction en un tome. En effet, une maladie, le Morpheus, épuise tellement les patients qu’ils dorment pendant vingt heures. Des cachets destinés à booster la mémoire déclenchent une si bien que la plupart des êtres humains sont touchés.
Yann Bécu ne se contente pas de décrire l’effondrement, mais s’intéresse aux multiples implications de cette maladie. L’ensemble du monde change y compris le calendrier : la nouvelle ère Morpheus débute au moment de la disparition de l’ancien monde. La pandémie a des effets géopolitiques avec l’effondrement des États-nations. En effet, dans Morpheus, les métropoles se sont émancipées et se protègent derrière des murs. En revanche, d’autres villes se vident comme Alger. L’humanité s’est également adaptée par la technologie : des robots remplacent les humains car les malades sont si nombreux qu’on manque de main d’œuvre dans l’agriculture et l’industrie. En l’absence de journalistes, les médias disparaissent. La vie quotidienne est également transformée. Être mère, c’est s’occuper de son enfant deux à quatre heures par jour, mais aussi de courir après l’argent car l’économie capitaliste s’est effondrée. Les plus pauvres vivent dans des dortoirs collectifs.
Comme tout (bon) récit de science-fiction, Morpheus est également une parabole de notre monde contemporain. Yann Bécu dénonce la recherche de performance avec ce médicament, Like A God. Les murs qui se dressent autour des villes rappellent ceux qui entourent les pays à la suite de vaines promesses populistes. Des fanatiques religieux s’attaquent à la rationalité scientifique. Hors de la ville, la sauvagerie s’est développée.
L’éditeur, Les Humanoïdes Associés, propose ce titre en un seul volume d’un assez grand format. Le récit commence derrière la couverture. Alors que ces pages sont en général une simple illustration pour installer l’ambiance, Morpheus les utilise pour décrire la diffusion éclair du virus.
of Us entre les capitales européennes
Morpheus démarra à Prague. Juliette est une chasseuse, une mercenaire qui remplit les missions urgentes pour la cité. Pour tenir, elle prend des pilules, le Spid. Ayant besoin d’argent, elle accepte d’arrêter des trolls voulant bloquer les robots. Voyant dans une autre partie de la ville une attaque terroriste, son caractère de rebelle la pousse à désobéir aux ordres. Elle sauve alors le professeur Ivanov, spécialiste du Morpheus. Par cupidité, elle accepte de l’assister dans ses recherches. Cependant, le professeur n’est pas un bienfaiteur de l’humanité. Il vit dans le luxe grâce à l’épidémie et n’est pas pressé de trouver le remède. Le duo quitte Prague pour rejoindre Berlin mais les nombreuses embûches font de ce voyage à cheval une épopée très prenante. De plus, Juliette et Yuri gardent de nombreux secrets.
La dessinateur Francesco Trifogli s’inscrit dans la tradition de la bd franco-belge réaliste mais en se concentrant sur l’essentiel. La mise en page reprend de strictes cases autour d’une gouttière blanche ou s’étale sur l’ensemble de la page. Ce classicisme se retrouve avec les couleurs d’Axel Gonzalbo.
Adapter un roman en bande dessinée est loin d’être une partie de plaisir, mais quand le romancier s’attaque à sa création, on peut être sûr de la fidélité à l’œuvre initiale. Yann Bécu le prouve dans Morpheus par un récit dense. La lecture est agréable et même fluide grâce à la mise en image de Francesco Trifogli. La fin ouverte laisse la possibilité d’un nouveau voyage avec des enjeux plus grands…
Retrouver Le Sang des Immortels du même dessinateur et Attraction, un autre titre de science-fiction du même éditeur.