Dans Souvenirs en cavale, Gildas Chasseboeuf propose un sujet paradoxal : un carnet de voyage sur un lieu où l’on ne peut pas sortir, la prison. Franchissez les portes du pénitencier pour découvrir les secrets d’un lieu très mal connu
Un carnet de voyage intérieur
Dans la préface, Gildas Chasseboeuf se décrit comme un homme libre, un voyageur qui paradoxalement a choisi la prison. A la fois scénariste et dessinateur, il a découvert celle de la ville bretonne de Saint-Brieuc en 2015, en animant des ateliers sur le souvenir. Le livre est la trace de ces actions de réinsertion car Chasseboeuf a saisi cette occasion pour recueillir la parole de toutes celles et ceux qui vivent dans cette prison sous forme de carnet de voyage. L’auteur est un habitué de ce format : il a composé un livre de croquis sur la réhabilitation d’une papeterie où il a lié l’aquarelle et l’engagement politique. Il a également fait le récit d’un voyage dans une zone irradiée dans Fleurs de Tchernobyl en 2012.
L’ouverture sur un monde clos
Édités par La Boîte à bulles, Souvenirs en cavale informe également le lecteur sur un monde fermé aux regards extérieurs. Le lecteur comprend le fonctionnement de la réinsertion. La culture est un moyen de s’évader mais aussi de reprendre confiance. Des excursions sont possibles pour faciliter la sortie qui reste l’objectif principal. La suroccupation de la prison atteint de 230% malgré le plus fort taux d’aménagement de peine de la région. L’auteur nous présente les différents rôles dans une prison. On lit les mots des détenus, des gardiens, de l’administration et du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Les différents professeurs référents à la maison d’arrêt racontent le déroulement des cours en prison. Un professeur de français explique la naissance d’un journal de prison ainsi que les contraintes et les effets positifs de travailler en détention.
Malgré des exemples très locaux, la plupart des prisonniers ont un passé difficile commun : des parents indifférents, des abus multiples de substances… L’alcool est la cause de la plupart des emprisonnements ce qui n’arrange pas réputation de la Bretagne. Cependant, il y a aussi de plus en plus de cas psychiatriques en raison du manque d’investissement public dans les asiles.
Des témoignages poignants
Cependant, au fil des pages, on découvre des parcours éclectiques. Plus qu’une analyse sociologique, Souvenirs en cavale offre avant tout des rencontres humaines. Le livre est un voyage humaniste accompagné par des compagnons très différents. Cette fraternité entre ceux qui sont dehors et ceux qui sont dedans se voient dès les remerciements de l’auteur pour les prisonniers et le personnel. On ne connaît jamais les raisons de l’emprisonnement mais les détenus évoquent des souvenirs très personnels. Ils sont parfois positifs comme Bruno parlant de son chien et d’autre fois plus sombres : Mathieu parle de son addiction aux jeux vidéo. Le directeur du SPIP revient à ses souvenirs de vacances à la ferme.
On sent que l’auteur n’est pas journaliste car il a refusé le tri et privilégie les témoignages au prix de plusieurs répétitions. Souvenirs en cavale peut être à la fois perçue comme une œuvre bordélique ou composite. Le livre multiplie les regards. A titre d’exemple, on trouve trois préfaces : celle d’un écrivain breton puis d’un auteur et d’un directeur de prison. La suite est un kaléidoscope de témoignages et de tranches de vie.
Souvenirs en cavale ouvre les portes de la cellule mais aussi les esprits de ses occupants. On découvre les différents métiers de ce monde mal connu. Cependant, brisant les nombreux aprioris sur la prison, ce livre de voyage immobile est avant tout le portrait de multiples êtres humains brisés par la vie et qui cherchent à se reconstruire.
Sur le site, vous pouvez lire d’autres chroniques du même éditeur sur la francophonie et le yoga.