Qui n’a jamais imaginé le croisement de deux romans pour créer un univers inédit ? C’est exactement ce que propose le scénariste et romancier Neil Gaiman dans Une étude en émeraude en propulsant Sherlock Holmes à Chtulhu. Découvrez dans notre chronique si ce voyage inattendu est une réussite.
Entre logique et frayeur
Une étude en émeraude est un récit en un tome proposé par les nouvelles éditions Black River. Tout part du projet très original de marier le rationalisme des enquêtes policières de Sherlock Holmes par Conan Doyle et le fantastique des contes de Chtulhu d’HP Lovecraft. Une étude en émeraude est au départ une nouvelle de Neil Gaiman que le scénariste et dessinateur Rafael Albuquerque a adapté en comics. Le texte originel est cependant très présent par un récitatif reprenant le motif visuel du carnet intime.
Rafael Albuquerque adopte un dessin aux traits plus anguleux qu’à son habitude. Il arrive à rendre les différentes expressions comme sur une page où Sherlock demeurant imperturbable et concentré au théâtre alors que Watson est pris par des sentiments très forts. On voit ses essais pour parvenir à saisir les personnages principaux dans le carnet de croquis à la fin du volume. Le dessin évite la simple illustration pour proposer un style personnel avec une colorisation très numérique créant un effet de flou ou d’aquarelle. Les décors sont alors limités au maximum et cela permet de laisser dans l’ombre au début de nombreuses révélations du récit mais des cases semblent parfois vides.
Entre histoire et imaginaire
Une étude en émeraude commence comme les débuts de Sherlock Holmes. Watson arrive au 221B Baker Street pour rencontrer son colocataire. C’est Sherlock qui devine tout de suite qu’il est un ancien combattant d’Afghanistan mais Watson ne sait rien de cet excentrique personnage qui reçoit des visiteurs à n’importe quelle heure. Quelques jours plus tard, le détective Lestrade vient requérir l’aide de Sherlock Holmes pour un meurtre d’horreur cosmique.
Le premier corps est le prince Franz Drago de Bohême. La famille royale est d’origine germanique ce qui est conforme à l’histoire de la famille royale d’Angleterre de la maison de Hanovre depuis le XVIIIe siècle ainsi que par la mère de la reine Victoria. Voici pour le point Stéphane Bern car, pour le reste, votre professeur d’histoire s’étoufferait en lisant Une étude en émeraude. En effet, on découvre progressivement que la famille régnante est hors norme : ils n’ont pas le sang bleu comme en France mais il est émeraude… De plus, Neil Gaiman semble mettre en avant une germanophobie totalement inexistante à l’époque et affirme une certaine aversion pour la monarchie.
Chaque épisode s’ouvre sur une publicité de l’époque. Rafael Albuquerque s’en donne à cœur joie non seulement par le visuel mais aussi pour les thèmes. Il montre les tabous (la sexualité) et les références littéraires (Dr Jekyll & Mister Hyde, Dracula) de l’époque.
Des ressemblances et des différences
En lisant ce récit, le lecteur ne peut s’empêcher de jouer aux jeux des sept erreurs avec les romans de Conan Doyle ou d’HP Lovecraft. Le titre vient d’Une étude en rouge, une nouvelle où apparaissent pour la première fois Holmes et Watson. Le début est très proche des romans de Doyle jusqu’à la découverte du premier cadavre. L’humour était présent dès les romans mais il est encore plus ici par le ridicule inspecteur Lestrade. Goinfre, il se précipite sur le petit déjeuner de la logeuse d’Holmes. Il est prêt à tout sauver son poste quitte à faire confiance à Holmes. Le détective est certes obnubilé par la logique mais il fait également confiance à son instinct en recrutant Watson comme assistant.
Le monde de Lovecraft montre progressivement le bout de ses tentacules avant que la résolution ne bascule complètement dans le fantastique. Watson n’est pas un médecin mais un tireur d’élite souffrant de troubles du stress post-traumatique car il a combattu des Anciens dans les grottes afghanes. Il boite mais il a aussi des séquelles psychologiques car il crie la nuit. Holmes comme toujours, réagit froidement en listant tous les arguments expliquant en quoi ce fait ne dérange pas son quotidien.
Une étude en émeraude est le cocktail rafraîchissant de l’été. L’association entre l’enquête policière de Sherlock Holmes et les menaces de Chtulhu est très bien dosée. Les dessins de Rafael Albuquerque réussissent à rendre en dessin la nouvelle de Neil Gaiman. Cette aventure installe donc un univers très riche et il est regrettable qu’il n’y ait pas de suite – en nouvelle ou en comics – de prévue.
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