Cyberespace, monde vidéo-ludique, espace virtuel inspirent depuis longtemps les auteurs de fiction. Depuis Ubik de Philippe K. Dick, ils s’interrogent sur l’interaction en le fictif et le réel et questionnent la nature profonde de cet autre monde. Dans Rev, Edouard Cour propose une expérience narrative et visuelle captivante en suivant une néophyte projetée das un monde virtuel.
Perdue dans la matrice
Dans un futur plus ou moins proche, le monde virtuel de Rev s’est imposé. Conçu comme un jeu vidéo, il se développe à partir des rêves ses utilisateurs. Ce qui lui donne cette apparence si unique où se côtoient figures oniriques, fantasmes humains et espaces troubles. Ce qui lui confère aussi des règles étranges où se mêlent abstraction, poésie et artifices. L’héroïne, Gladis, vient de décider de franchir le cap et de se connecter à Rev. Néophyte, elle n’en comprend pas les règles.
Mais elle rencontre MR_iO, un fin connaisseur du jeu qui décide de l’accompagner et de la guider pour sa première aventure. Son aide est la bienvenue car Rev propose un cadre déstabilisant où la joueuse passe des couloirs d’un grand, à une station de gare puis à une sombre forêt. Or chaque lieu lui propose des défis sans liens apparents entre eux. Tel Ulysse notre joueuse va tenter de progresser dans cet univers aux codes troublants sans se douter des réelles motivations de son allié.
Rev : une ambiance graphique désarçonnante.
Cette Bande dessinée est une œuvre qui ne plaira à tout le monde. En effet, Edouard Cour a choisi de donner une âme, un style à son travail audacieux. Effectivement, pour dépeindre ce monde virtuel, il choisit un dessin qui mêle esquisse, estampe et traits nerveux. Ce mélange des genres construit des planches très hypnotiques qui soutiennent parfaitement le propos de son histoire. Il insiste beaucoup sur le végétal qui vient coloniser ce monde virtuel. Une audace stylistique qui se permet toutes les explorations formelles.
Cette prise de risque plonge son histoire dans une ambiance onirique lorgnant parfois vers l’absurde. En effet, Rev est le réceptacle des rêves, fantasmes, inconscients des joueurs. Ceux construisent un univers déstructuré. Les règles, la géographie semblent en changement permanent. Les objets à de très rares exceptions proposent des formes déstabilisantes. Tout ceci est incarné par les avatars conçus comme des suggestions où les corps, les visages semblent inachevés.
Quand Alice rencontre Ready Player One
Plongeant dans un univers inconnu, Gladys se retrouve dans la peau d’Alice plongeant dans une étrange simulation. En effet Rev se présente comme un jeu vidéo classique avec ses points d’expérience, ses niveaux. Ce qui déstabilise ce sont les épreuves. Elles n’ont a priori pas de sens, semblent futiles ou déconnectées. Les P.N.J ont des styles qui changent du tout au tout dès que l’on change de salle. Quant aux défis, c’est à Gladys d’essayer d’en comprendre la logique. Comme Alice, elle cherche de la rationalité dans un monde qui en est l’exact opposé.
L’histoire est en plus centrée autour d’un étrange ester egg qui doit amener Gladys à grandir, à progresser et à gagner en capacités. Rev se lit alors comme une déclinaison autour du jeu vidéo qui lorgne beaucoup vers Ready Player One. Une entité guide notre héroïne jusqu’aux tréfonds d’une simulation étrange. De l’hôtel à la forêt en passant par un somptueux palais rappelant celui d’Angkor, Gladys relève des épreuves qui soulignent autant ses qualités de joueuse que de personne. Et quand elle quitte le jeu, le lecteur se pose la question centrale : Rev a-t-il fait changer Gladys ?
Odyssée numérique chez Joseph Campbell
Limiter Rev à une déclinaison autour des mondes virtuels serait passer à côté de la profondeur du récit et de ses multiples références. Edouard Cour reprend d’abord dans une forme moderne les mythes de Thésée et d’Ulysse. Il s’est déjà attaqué à la relecture des mythes grecs dans son œuvre précédente Héraklès. Ici, il cite deux figures classiques de ce panthéon : le fil d’Ariane et les épreuves d’Ulysse. Gladys se confronte à des sorciers, des monstres dévoreurs (proche du cyclope) et est guidé par un joueur, véritable deus ex machina. Lequel semble décider à lui faire accomplir une destinée prédestinée.
Ceci vient faire écho à la seconde inspiration : Joseph Campbell. Cet écrivain américain étudia dans les années 1940 les mythes du monde. Il montra dans Le héros aux mille visages qu’ils respectaient tous une structure identique qu’il nomma le mono-mythe. Il appuya sa thèse sur l’analyse du voyage du héros, passage clé des récits légendaires, qui obéit au même schéma narratif quel que soit le mythe examiné. Or Rev multiplie les références à ce récit fondateur jusqu’à un final époustouflant qui secoue les neurones tout en dressant une connexion brillante entre l’écriture du mythe et l’écriture vidéo-ludique. Ces ultimes pages donnent un nouveau sens à cet album nous rappelant les fondements immuables de l’écriture héroïque.
Rev est une proposition unique, iconoclaste et audacieuse autour des mondes virtuels. Graphiquement somptueux, scénaristiquement inspiré, cet album est un ovni artistique à découvrir aux éditions Glénat.