Alors que le Moyen Orient est de nouveau au centre de l’attention, un prisonnier libanais reste totalement dans l’ombre : Georges Ibrahim Abdallah. Dans les oubliettes de la République, vous expliquez qui est ce plus ancien prisonnier politique en France.
George Ibrahim Abdallah, une injustice qui dure
Dans les oubliettes de la République met en lumière la situation du libanais George Ibrahim Abdallah. Pourtant, la première scène se déroule à Uzeste. Pierre Carles vient présenter son dernier documentaire sur le régime politique français. On sent l’amertume d’être mis à l’écart car il ne peut être diffusé à la télé. Le réalisateur et journaliste engagé rencontre une militant pour la libération d’Abdallah et ainsi découvre sa situation.
Membre des fractions armées révolutionnaires libanaises, Abdallah participe à Paris aux meurtres d’un fonctionnaire israélien et agent du Mossad, Yacov Barsimantov, et de l’attaché militaire américain, Charles Ray. Il est au départ arrêté en France pour usage de faux papiers et pour participation à un braquage d’Action directe. Les médias s’engouffrent dans le discours officiel et Pierre Carles pointe les incohérences de leur enquête. Dans les oubliettes de la République explique très vite que ce militant communiste est pris entre deux grandes puissances. Les Etats-Unis s’indignent de la peine trop légère décidée par la justice française. Les différents gouvernements américains vont dès lors multiplier les pressions publiques et par des discussions avec le président Mitterrand pour empêcher la libération d’Abdallah. La relation de Mitterrand avec l’extrême-gauche est ambivalente. D’un côté, il vote des lois d’amnistie pour le groupe Action Directe. De l’autre, il maintient George Ibrahim Abdallah en prison.
Le scénariste Pierre Carles ne retrace pas chronologiquement les faits mais part de son expérience : comment il a découvert cette situation puis comment il a mené l’enquête. Carles commence par échanger avec un militant d’Action directe car il a fait un documentaire sur ce mouvement. Il se rend ensuite aux Archives pour se faire son avis à partir des journaux écrits et télévisés de l’époque. De son côté, le dessinateur et coloriste Malo Kerfriden adopte un style habituel en bd journalistique. Il vise le plus grand réalisme pour les visages et les postures car Dans les oubliettes de la République décrit le réel. Les décors sont détaillés au moment de rencontrer un nouvel intervenant puis ils disparaissent lors des échanges pour se concentrer sur le propos. La colorisation réaliste mais assez ternes car le texte passe en premier.
Un prisonnier pour comprendre un conflit complexe
Si Dans les oubliettes de la République débute par une chronologie du Liban, ce pays n’apparaît qu’à la moitié du livre. Pierre Carles s’y rend pour rencontrer la famille du détenu. Ce voyage est un moyen de présenter la complexe situation du pays : des militants communistes soutiennent les islamistes du Hezbollah. Le lecteur circule autour du monde car ses différents voyages forment les chapitres Dans les oubliettes de la République : le Liban, l’Algérie, l’Italie… Ces mouvements incessants sont également typiques des militants d’extrême-gauche. En partant d’un individu, George Ibrahim Abdallah, Dans les oubliettes de la République suit en effet tout en milieu : les militants d’extrême-gauche de l’après-1968.
Comme souvent dans la bd journalistique, les dialogues sont très importants et denses. Dans les oubliettes de la République devient alors un livre sur les mots. En effet, Pierre Carles veut montrer comment l’étiquette de « terroriste » bloque toute possibilité de libération d’Abdallah depuis près de 40 ans. Pourtant, un terroriste pour un pays devient un libérateur dans un autre. Le choix des mots montre l’engagement de l’auteur. Les interlocuteurs n’utilisent pas les termes de terroriste, de meurtre. Cependant, ces militants n’ont pas « mené une opération » mais ils ont tué. Une militante communiste libanaise développe une argumentation rendant le gouvernement français responsable des attentats libanais de George Ibrahim Abdallah. On peut penser que Pierre Carles reprend ces discours gauchistes sans recul même s’il pointe les limites et les contradictions.
Édité par Delcourt, Dans les oubliettes de la République parle peu au Liban mais se concentre sur le calvaire d’un homme. Pierre Carles montre les pressions exercées par les Etats-Unis pour empêcher sa remise en liberté et le poids du terme « terroriste ». Il termine en dénonçant le silence des médias mais le propos peut sembler léger sur les violences réelles provoquées par les attentats.
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