Polar et dystopie dans Nouvelle Chine

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Et si Berlin avait été divisée par Pékin ? Voici le concept étrange de Nouvelle Chine, une enquête policière dans un monde où la Chine a pris la place de l’URSS.

Un polar berlinois

Nouvelle Chine est un nouveau récit complet écrit et dessiné par l’auteur belge Clarke. Le lecteur suit Viktor Eberhard à Berlin. En 1975, ce policier à la réputation d’infaillibilité pourchasse un tueur en série sévissant dans les parcs urbains. Non seulement les meurtres se multiplient, mais ils sont mis en scène, les organes des victimes étant placés autour du corps. Les indices laissés sont nombreux mais Viktor est perdu car il ne voit aucun lien entre les victimes. Une nouvelle mort amène à visiter une autre scène de crime. De plus, l’enquête s’annonce difficile car la piste de Viktor Eberhard le conduit à s’opposer à la police politique.

Le travail de la police dans Nouvelle Chine navigue sans cesse entre le respect de la loi et l’ordre dictatorial. Viktor Eberhard fait appel à un ami agent du bureau de la propagande. Le lecteur comprend le fonctionnement politique de la police par l’arrivée d’un nouvel assistant Mathias Schneider qui discute beaucoup avec Viktor Eberhard. Comme dans un polar, Nouvelle Chine est structuré en chapitres et les dialogues sont courts.

L’ambiance policière est présente par le choix du récit en noir et blanc mais surtout par la psychologie du personnage principal de Nouvelle Chine. Génial, Viktor Eberhard trouve des indices invisibles pour les autres. Il parcourt la ville et nous la présente. Eberhard ne respecte pas les règles, ignore les instances supérieures et ne demande pas de mandat. Ces défauts lui permettent d’avancer mais le poussent au-delà du raisonnable. Il fera tout pour trouver la vérité quitte à se brûler. En dehors de son travail, Viktor Eberhard mène une vie déprimante s’expliquant par un traumatisme familial. Sa femme est décédée d’une longue maladie qui a tellement marqué sa fille qu’elle ne voit plus son père. Eberhard reste tard le soir. Il boit du whisky… mais de Chine. En effet, Nouvelle Chine est un univers parallèle.

Un polar dystopique dans Nouvelle Chine
Un polar dystopique dans Nouvelle Chine

Un passé réinventé à la sauce chinoise

Nouvelle Chine est une uchronie pendant la guerre froide. Ayant été abandonnée par les États-Unis, l’Europe vit sous la domination de Pékin. Cette idée surprenante est née des questionnements de Clarke et de ses enfants pendant la pandémie du Covid-19. Comme l’enquêteur cherchant les indices, le lecteur perd ses repères puis s’amuse  à comparer ce monde au nôtre. On retrouve les tenues civiles de l’époque et le partage des fonctions entre la police locale et l’occupant étranger. En effet, la police chinoise enquête quand le régime est menacé. Le lecteur découvre une administration parallèle avec un commissaire politique dans de nombreux lieux. En raison du blocus des pays occidentaux, certains aliments manquent : le café coûte très cher au marché noir.

Cependant, la Chine remplace l’URSS. Un cours d’histoire illustre d’ailleurs la dérivation avec notre histoire. L’intervention de la Chine en Indochine et la défaite française provoquent une guerre mondiale remportée par Mao. Viktor parle mandarin et mange des plats chinois dans des boites comme aux États-Unis. La propagande reprend l’imagerie maoïste plutôt que celle de l’URSS. Malgré la force de l’occupant, des individus s’organisent. Viktor est fâché avec sa fille car elle a rejoint la résistance. En effet, l’enquêteur refuse obstinément de s’engager et même de s’exprimer sur l’occupation Chinoise. Pourtant, l’enquête va l’y contraindre. Un suspect, Peter Gehrig est accusé d’avoir organisé un attentat sur le train Berlin. Gehrig confesse au départ son crime dans une vidéo de propagande.

Nouvelle Chine est proche de notre monde contemporain post-covid. Un virus bouleverse la géopolitique mais pousse également à mentir. Le chuandran, a ravagé l’Europe et le Moyen-Orient mais a épargné la Chine car ils ont créé un vaccin. Ils séduisent l’Occident par l’arme sanitaire. La pandémie est toujours une menace et donc, chaque occidental est dans l’obligation de prendre des pilules, le bingdú.

Ce changement de domination questionne dans le contexte actuel de montée en puissance de la Chine. Est-ce un signal d’alarme et donc une forme de sinophobie ? Le propos dans des faux articles de presse du passé est assez confus : l’union occidentale contre la Chine est un leurre et donc, il ne faut pas affronter la Chine ? Cependant, Clarke introduit de la complexité en montrant un résistant chinois par convictions politiques et religieuses.

Édité par Soleil, le nouveau récit complet de Clarke est une sombre réussite. Nouvelle Chine débute comme un film noir des années 50 avec un policier solitaire cherchant à arrêter un tueur en série. Cependant, le cadre berlinois apporte une première originalité doublée par ce passé dystopique où la Chine a utilisé un virus pour étendre très largement son influence. Ce mélange fait de ce récit complet une belle réussite.

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