Parfois, même quand on est naufragé en pleine mer, il est préférable de refuser une aide. C’est ce que prouve L’île du docteur Moreau, l’adaptation en deux tomes du roman d’H.G. Wells publiée par Delcourt.
Une île aux nombreux mystères
En se retrouvant perdu au milieu de l’océan Pacifique, seul sur une barque, Edward Prendick pensait voir sa fin arriver. Il se croit donc sauvé quand un navire le récupère. Cependant, en échangeant avec Montgomery, passager, il est intrigué. En effet, cet ange gardien est un médecin chassé de l’ordre qui est devenu l’assistant du docteur Moreau. Le capitaine du navire déteste ces passagers mais peut-on se fier à la parole d’un alcoolique ? Edward Prendick est un pur héros qui défend les opprimés mais ce dévouement va ici ralentir son retour à la maison. Il est débarqué plus tôt sur l’île du docteur Moreau avec Montgomery et son étrange cargaison. Dès le début, le docteur Moreau propriétaire de l’île fait peur car, refusant Prendick le droit d’accoster, il est prêt à le laisser mourir en mer. Ce dernier ne sauve Prendick que grâce à ses diplôme universitaires. De nombreuses questions se posent : qui est ce scientifique spécialiste de la vivisection ? Pourquoi aller dans cette île tropicale pour réaliser ses expériences ? Le scénariste Stéphane Tamaillon réussit très bien à distiller ces indices installant une ambiance inquiétante.
En effet, Prendick découvre bientôt que les deux hommes se livrent depuis des années à des expériences interdites. Toutes ces révélations se font sans long monologues mais avec une économie de mot très juste. Le lecteur réalise que Prendick est piégé sur l’île du docteur Moreau au milieu de fous et de monstres mais pas ceux auxquels on s’attend. Le final, parfaitement choisi, de ce premier volume donne forcément envie de lire la suite.
Un classique pas si ancien
Si L’île du docteur Moreau est sorti en 1896, son sujet est cependant pleinement dans l’actualité et ce titre arrive à le prouver. Tout comme le roman, la bande dessinée est un signal d’alarme sur les dérives de la science quand elle néglige la morale. Ce thème prend un sens très actuel avec les débats en France sur la maltraitance des cobayes dans l’industrie cosmétique et le statut juridique des animaux. Moreau est un monstre qui expérimente sur les animaux sans jamais s’occuper de la douleur que ces opérations leur procurent. Pendick plongera dans la jungle sauvage pour comprendre que les limites entre l’humanité et le règne animal sont plus floues qu’il ne le pensait. Le scénariste Tamillon montre cependant bien la complexité de L’île du docteur Moreau car le héros Edward Prendick est lui-même un passionné d’histoires naturelles mais déprime d’entendre les animaux hurler de douleur. Il semble bien plus ouvert que le hautain docteur Moreau.
Le dessin est très loin de la tradition de l’adaptation de roman. Loin du simple réalisme, Joël Legars adopte un trait charbonneux et iconique pouvant penser à Blutch. Il fait aussi des choix originaux : le visage du docteur Moreaux reste dans l’ombre puis dans le flou tant que le narrateur ne le rencontre pas. Ce flou convient non seulement parfaitement à un récit rempli de secrets mais il renforce la peur du lecteur. La coloriste Anna Conzatti évite les poncifs. Le début est inondé de lumière alors que pourtant le propos est présage de dangers. L’île du docteur Moreau est un roman peu connu d’un auteur célébré. On peut espérer que cette bande dessinée remettra de la lumière sur ce sombre roman.
Cette collection de trente-sept titre ajoute une nouvelle pépite à son catalogue avec L’île du docteur Moreau. Le scénariste évite l’écueil de multiplier le texte mais laisse les images installer l’ambiance. Le dessin est tout aussi original pour ce genre en refusant le réalisme pour un style bien plus moderne.
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