Si vous n’avez jamais lu du Bret Easton Ellis, alors Zombies est sans aucun doute le livre par lequel il faut attaquer.
13 nouvelles, un style dur et froid qui vous donnera un aperçu particulièrement fidèle de l’écriture de Bret Easton Ellis : Zombie permet d’exposer l’étrangeté de son univers, tout en laissant travailler son imagination richissime, sans limite entre naturel et surnaturel, qui annonce d’ailleurs largement tout le reste de son œuvre.
Le Tarantino littéraire
Bret Easton Ellis est un peu à la littérature ce que Tarantino représente dans le 7e art : une sorte de génie avant-gardiste fasciné par les manques de repères (temporels ou autres).
En 1987, il accède à la notoriété alors qu’il est étudiant encore, à peine âgé de 21 ans, grâce à un premier roman intitulé Moins que zéro mettant en scène un jeune garçon paumé qui erre pour trouver un sens à son existence. Ça ne vous rappelle personne? Très vite comparé à Salinger, son empreinte littéraire traduit l’apathie nihiliste de l’adolescence dorée de Los Angeles, fil rouge de toute sa création littéraire par la suite. Son deuxième roman Les Lois de l’attraction est lui conté par plusieurs narrateurs qui entremêlent leurs récits ; donnant des versions subjectives des faits. Des étudiants bourgeois sont scénarisés dans leur douce dérive vers les illusions du sexe et de la drogue sur fond de rock’n roll.
Mais c’est son troisième roman qui fera rentrer Ellis au rang des auteurs influents ; il paraît alors qu’il a 27 ans : American Psycho, se vendra à plus d’un million d’exemplaires aux États-Unis. Il sera d’ailleurs (comme ses écrits les plus reconnus, considérés par ses fans comme « cultes ») adaptés à l’écran avec Christian Bale dans le rôle du yuppie (jeune cadre ambitieux) tueur en série.
Zombies
Contrairement à ce que laisserait penser le titre, pas une trace de mort-vivants dans ce recueil, mais une vision particulière du vampirisme dans la nouvelle intitulée Les secrets de l’été, où l’on assiste à l’entretien d’un vampire avec son psy, qui lui prescrit des antidépresseurs…Vous l’aurez bien compris, Zombies est le premier recueil de nouvelles de son auteur, mais encore une fois, il se démarque de ses contemporains puisque les personnages se retrouvent parfois d’une histoire à l’autre, dans une sorte de microsociété. Il s’agit ici encore d’un élément redondant dans l’écriture de Bret Easton Ellis, puisque d’un roman à l’autre, les héros de ses histoires se baladent et brouillent les pistes.
La Californie des années 1980 y est dépeinte, splendeur de débauche où les jeunes et les moins jeunes, garçons et filles, beaux et bronzés, tuent le temps en glandant au bord des piscines sous un soleil à priori abrutissant. Ce n’est pas tant le sexe et la drogue qui sont désespérants car ils sont également acteurs de centaines d’œuvres d’art, cette jeunesse décrite par Bret Easton Ellis semble lasse de la vie, de la richesse, de l’opulence, et noie son ennui dans la télévision, abrutissant au passage les derniers neurones rescapés de leur très courte scolarité.
Un parfum de scandale
D’ailleurs, les histoires développées dans les nouvelles ne débordent pas de suspens, elles n’ont pas une intrigue à vous tenir éveillé toute une nuit, elles sont même étrangement un peu à l’image des personnages qu’elles décrivent : tristes, plates et sans trop de rebondissements. Les personnages sont blasés par la vacuité de leur sinistre existence, et l’écriture à la première personne (comme souvent avec Bret Easton Ellis) renforce la réalité de leur désespoir. La violence fait partie inhérente de leur quotidien, elle surgit un peu brusquement, et l’auteur ne se censure pas, il décrit tout crument, dans les moindres détails, sans précaution particulière, et banalise ainsi la sauvagerie et l’agressivité qui scandalisent les États-Unis.
L.A. dans les 80’s
Les années 80 sont décrites dans toute leur splendeur : les références aux groupes (Dire Straits entre autre) et vedettes (Michael Jackson, Madonna) de l’époque sont nombreuses et MTV revient dans chaque nouvelle comme une référence biblique aux jeunes californiens en quête de divertissement. Tout un chapitre est d’ailleurs consacré à la décérébration d’une jeune New Yorkaise s’installant à L.A. ; il s’agit des Lettres de Los Angeles, un bref épisode épistolaire retraçant son adaptation à ce milieu surfait, calme, bronzé et séduisant. Le lecteur assiste en vérité à la mutation de cette jeune fille a priori étudiante dans une brillante université (Camden) qui abandonne son élitisme intellectuel pour la frivolité et la dépravation.
L’idée est déjà développée par l’auteur dans Les Lois de l’attraction. Des générations entières se succèdent sans que rien n’y change : la jeunesse « foutue » manque cruellement de volonté. D’ailleurs le roman commence au milieu d’une phrase et s’achève de la même façon, comme s’il ne menait en fait nulle part. Une boucle infernale semble entamée : les parents essayent de parler à leurs enfants mais ils ne les comprennent plus depuis un bon moment. A croire qu’ils sont tous plus ou moins étrangers alors qu’ils partagent la même villa de luxe. Tout le monde est happé par une société de consommation sur-développée qui lobotomise la population mondiale. Il existe alors chez Bret Easton Ellis une sorte de pessimisme qui pousse son lecteur dans des réflexions sombres du type « les choses ne changent pas, vraiment. ». Désespérant.
Le style d’Ellis
Le style d’Ellis, en apparence minimaliste et distancé, est en fait d’une objectivité criante de vérité. Auteur traduit dans une trentaine de langues, il est surtout un modèle pour une génération d’auteurs : Beigbeder le décrit dans Premier bilan après l’apocalypse, son essai critique : « C’est le meilleur roman du XXe siècle car il a digéré tous les autres. Personne ne peut plus faire comme si American Psycho n’avait pas tout changé ».
Souvent confondu avec ses personnages, habités d’un grand vide qu’ils tentent de combler par le consumérisme, la drogue, la pornographie et la violence ; Bret Easton Ellis est autant adoré que détesté et surtout mal compris. Critiqué récemment pour avoir tourné dans une pub pour la marque de lunettes de soleil Persol, l’écrivain américain y joue une caricature de lui-même conformément à la société déshumanisante et aseptisée qui nous tuent à petits feux. Figure emblématique de la Génération X, il est l’un des auteurs contemporains les plus influents.
source image : townandcountrymag