Le phénomène 1Q84

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Véritable phénomène au Japon, la trilogie d’Haruki Murakami 1Q84 a su trouver son public en France aussi où elle s’est écoulée à plus de 700 000 exemplaires (éditions Belfont). Parue au cours des années 2011 et 2012, elle a permis à son auteur d’étendre sa notoriété. Retour sur un succès sans précédent.

Éminemment primé dans tous les pays qui l’ont traduit, l’écrivain Haruki Murakami choisit de faire paraitre son douzième roman sous la forme de trois tomes, entre 2009 et 2010. Au Japon, le succès est incontestable : le jour même de sa mise en vente, le premier tirage est épuisé  !
Très rapidement, le premier tome s’impose comme un best-seller, vendu à un million d’exemplaire le 1er mois, et deux millions le mois suivant… Les libraires japonais avouent n’avoir jamais vu un tel engouement de la part de leurs lecteurs : la saga s’écoule six fois plus vite que les aventures du jeune Harry Potter !
Alors, comment expliquer le phénomène 1Q84?

« Big Brother is watching you »

A priori, le titre interpelle. Ce mélange de chiffres et de lettre résonne dans notre esprit comme un code. Le Q est le symbole de la question. En japonais, la lettre «q» se prononce comme le chiffre «9». Il fait en effet écho à l’illustre 1984 de George Orwell, considéré comme la référence en matière de roman d’anticipation. Publié en 1949, il met en scène la figure devenue mythique de Big Brother, métaphore de la société de surveillance et de réduction des libertés. 1984 décrit les affres du monde moderne. Inspiré à la fois du totalitarisme du stalinisme et du nazisme, la société mise en place dans le roman d’Orwell incarne la disparition totale de la liberté d’expression. Il semblerait que plus d’un demi-siècle plus tard, ces thèmes soient toujours autant d’actualité.
L’année 1984 est bel et bien derrière nous, mais Haruki Murakami choisit d’y situer l’intrigue de sa trilogie.

Murakami, un univers à lui seul

L’auteur est notamment connu au Japon pour ses talents de traducteur (de l’anglais au japonais) de grands auteurs tels que F. Scott Fitzgerald, John Irving ou encore J.D Salinger. Il est considéré comme l’un des écrivains japonais de la littérature postmoderniste. Et on retrouve dans la trilogie d’Haruki Murakami des thématiques existentiels proches de celles développées par Orwell, telles que l’incommunicabilité et l’aliénation au sein des sociétés capitalistes. Ses personnages qui sont également narrateurs donnent une dimension mélancolique à son oeuvre, bien qu’il existe incontestablement beaucoup de poésie et d’humour dans son style.
Dans 1Q84, comme d’ailleurs dans un bon nombre de ses romans, Murakami donne à son récit des résonances de réalisme magique. En effet, très rapidement dans le livre, les protagonistes s’interrogent sur le monde qui les entoure, et petit à petit, les indices les mènent à constater qu’ils pénètrent dans un univers parallèle où le ciel héberge deux lunes.

L’histoire

Chaque chapitre voit sa narration alterner entre les deux personnages principaux que l’on découvre au fur et à mesure des tomes et qui sont destinés à se retrouver. L’héroïne, Aomamé est une thérapeute spécialiste des arts martiaux, qu’elle enseigne aux femmes pour leur apprendre à se défendre contre les hommes. Tueuse professionnelle à ses heures perdues, elle exécute froidement, à l’aide d’un procédé aussi minutieux que mystérieux, les auteurs de violence conjugale. Aomamé doit justement régler son compte au pire d’entre eux, le Maître d’une secte qui abuse d’enfants, dont certains semblent visiblement terrorisés par de fantastiques « Little People ».
Tengo, lui, est un jeune romancier qui gagne sa vie en enseignant les maths. Il se voit confier le manuscrit de Fukaéri, une jolie adolescente de 17 ans surgie de nulle part, pour qu’il soit remanié et présenté à un prix du jeune écrivain. «La Chrysalide de l’air» remporte en effet un succès considérable, mais Fukaéri n’a pas tout dit sur les créatures étranges qu’elle y décrit, et les risques liés à leur vengeance.

« Le lendemain soir, il y avait encore deux lunes. La grande était celle de toujours. Elle avait des teintes d’une étrange blancheur, comme si elle venait de traverser une montagne de cendres. Mais sinon, c’était le même vieil astre familier. Celui sur lequel, par un chaud été de 1969, Neil Armstrong avait modestement fait son tout premier pas de géant. Et puis, à côté, il y avait une petite lune verte, à la silhouette déformée. Elle se tenait toute penaude près de la grande, comme une enfant coupable. »

Il est souvent difficile de déterminer où finit la réalité et où commence ce qui relève du fantastique. Fascinant à tous les égards, le phénomène 1Q84 pousse le lecteur à s’interroger et à remettre en question les rapports d’unicité de temps et d’espace, considérés jusqu’alors comme acquis.  Existe-t-il d’autres univers que le nôtre? Et quel passage Tengo et Aomamé vont-ils devoir emprunter pour finalement se retrouver?

 

 

 

 

 

image : Cory Schmitz