En octobre 2014, La Fabrique, maison d’édition réputée pour son engagement politique et social de gauche radicale, publiait le dernier ouvrage du Comité Invisible intitulé A nos amis. Il y a sept ans, le Comité nous donnait à lire une analyse des dernières mouvances terroristes dans le monde et des changements économiques comme étant annonciateurs de bousculements qui nécessiteraient des manifestations radicales dans L’Insurrection qui vient.
Ce Comité, à propos duquel nous n’avons que peu d’indices concernant les auteurs, a suscité un vif intérêt de la communauté politique, sociale et économique en 2007 enchaînant même des poursuites judiciaires avec des écrits considérés comme « dangereux » et vient à nouveau réveiller les sens, à l’heure où un attentat a touché la France mercredi 7 janvier 2015 au siège de Charlie Hebdo à Paris et a plongé la France dans une série noire deux jours durant.
A nos amis
Cet ouvrage, composé de 9 chapitres, rédigés sous forme d’essais, se consacre notamment à l’étude des mouvements politiques, sociaux et économiques du XXIème siècle. On y retrouve les insurrections des dernières années, particulièrement virulentes, telles que les révolutions du printemps arabe par exemple ou bien d’autres, traitées avec plus de pacifisme comme les regroupements des 99% un peu partout dans le monde Occidental – ce qui concorde plutôt bien avec ce que le Comité avait mis sur la table sept ans auparavant. Les auteurs mettent ici en perspective tous les mouvements de foules récents (15M, Indignés, « crise des banlieues » de 2005 en France …) et les analysent comme un tout, et non comme des événements séparés, tant d’un point de vue géographique qu’idéologique. Certes, les motivations de ces groupes diffèrent tant dans leurs actions que dans leurs buts, mais les considérer ensemble peut donner un tout autre aperçu de la situation, remettant au goût du jour le « mal du siècle », ou le pessimisme sur les facultés des Hommes à vivre ensemble alors qu’ils ne revendiquent pas les mêmes idées. Quoi qu’il en soit, compte tenu des événements récents, nous ne pouvons pas nier que les relations internationales et les notions de communautés ont un impact majeur sur les « groupes » idéologiques, sociaux ou même moraux. Ils cherchent ici à expliquer pourquoi, les mouvements de foules avortent avant la mise en place d’une vraie révolution, et souligne ce qui peut manquer pour aller plus loin dans l’insurrection.
Beaumarchais se félicitait à la sortie du Mariage de Figaro de n’avoir, avec Le Barbier de Séville, « fait qu’ébranler l’état, mais avec cette nouvelle pièce, plus infâme et plus séditieuse, je le renverserai de fond en comble ». Le Comité, avec un ouvrage littéraire de qualité sur le plan de l’écriture, peut lui aussi se féliciter de se répandre comme une traînée de poudre partout où il se publie et où il est traduit, propageant son opinion du monde moderne.
De l’Internet et des rassemblements
Sont également évoqués dans ce livre les thématiques liées à l’utilisation par le gouvernement des données Internet ainsi que le pouvoir des rassemblements et de leur logistique. Dans le premier cas, les auteurs sont virulents sur la façon dont sont traitées les données (géolocalisation, informations sur les habitudes de consommation, les groupes de pensées etc.) et semblent plutôt appeler à une prudence poussée concernant l’utilisation des réseaux. Le Comité évoque aussi le fait que la vie virtuelle est parfois prédominante sur la vie personnelle, mais met surtout en exergue la surveillance des États sur ses citoyens et le fait que nous ayons tous des dossiers déjà prêts, auxquels nous avons contribués, sans le savoir, ou presque.
Le fonctionnement des villes est lui aussi changé par Internet et chaque citoyen contribue bon gré mal gré à la cybernétique de son environnement. Même si les bénéfices d’un système comme celui actuel ne sont que brièvement évoqués dans l’ouvrage, on note une prise de conscience sur l’impossibilité du retour en arrière. Il est clair que dans nos sociétés les flux et les données ne sont pas ou mal maîtrisés par leurs acteurs, mais permettent tout de même de grandes avancées tant dans la gestion des personnes que dans l’amélioration des villes. Également, il est tout à fait possible pour les citoyens de s’en servir en programmant par exemple des rassemblements qui n’auraient pas leur envergure actuelle sans l’existence de ces réseaux : l’exemple le plus récent étant celui du rassemblement de ce dimanche en soutien à la revue Charlie Hebdo, aux victimes des attentats et pour soutenir la liberté d’expression, qui comptabilise aujourd’hui plus de 800 000 personnes sur Facebook, et qui promet d’en rassembler encore plus. Les autorités utilisent facilement Internet pour surveiller et contrôler le peuple mais il est inévitable que le peuple s’en serve à son tour pour créer son propre mouvement et s’organiser. Lorsque d’ailleurs les événements s’organisent, comme les manifestations en Espagne du 15M, les réseaux sociaux ont largement contribué, et contre les autorités en place, à diffuser cette volonté de « rébellion » et a permis de la développer, ne serait-ce qu’in situ avec une communication améliorée entre les membres participants. Ce qu’Internet rend possible, avant de parler de surveillance, de manigance à grande échelle et de traitement de données, c’est bien l’organisation des personnes ; une force encore plus puissante puisque motivée par une volonté partagée.
Des communautés
Le Comité nous montre aussi qu’il est compliqué d’aborder la notion de communauté en France, mais qu’il en va de même au sein d’autres nations, et même d’organisations quelles qu’elles soient. Que ce soit des communautés religieuses, politiques, sociales, toutes ont du mal à trouver leur place dans une société qui se dit « multiculturelle », mais qui en pratique éprouve des difficultés à rassembler les différents portraits qu’elle héberge. Les « communautés » ne s’établissent pas ensemble, mais les unes en fonction des autres, créant donc des tensions et des scissions. Ce point de vue existe selon certaines théories et pourrait expliquer (sans bien sur justifier) des réactions extrémistes, mais ce que nous avons vu cette semaine démontre que quelque chose rassemble, au-delà de la nationalité, de l’appartenance à une idéologie et au-delà d’un nihilisme du « vivre ensemble » : le droit commun, les libertés fondamentales et démocratiques.
Ce livre du Comité Invisible est à lire précautionneusement et à ne pas prendre au premier degré étant considéré comme un pamphlet politique rédigé par des mains révolutionnaires, mais il offre très certainement matière à réfléchir sur les mouvances du monde actuel, sur la connexion des pays entre eux, des tensions nationales et supranationales et des risques et menaces que tout cela implique.