Vous êtes un amateur d’art underground ? Vous êtes séduit par le New York des années 80 ? Basquiat est pour vous LE peintre d’avant-garde de son époque ? Ou bien tout simplement vous aimez qu’on vous raconte des histoires profondes, qui vous prennent aux tripes ? Alors lisez La veuve Basquiat, de Jennifer Clement (éditions Christian Bourgois), vous ne serez pas déçu.
Dans le décor du Soho des années 1980, celui de Warhol, de Madonna, et d’Iggy Pop, Jean-Michel Basquiat, encore peu connu, rencontre Suzanne Mallouck au Night Birds. Elle sera son premier amour et sa muse, sa « Venus ».
« Suzanne ressemble à une petite fille qui a mis les vêtements de sa mère. Elle se peint les lèvres au Love That Red de Revlon, a des cheveux d’un noir bleuté et la peau blanche. Elle boutonne son chemisier jusqu’en haut […] et fume des quantités de cigarettes pour conserver sa chaleur intérieure. »
La Veuve Basquiat, une oeuvre-collage
Pareil à une oeuvre du peintre éponyme, La veuve Basquiat est à la fois un concentré d’évènements coagulés, et un diapason disparate de notes, d’interview, de listes, et de narration où les voix de Jennifer Clement et Suzanne se mêlent, comme le serait un collage, ou la macération de couches de vie superposées. Ainsi, les petits détails du quotidien s’introduisent dans le récit plus large d’une époque de bouleversement artistique. Les peintures de Basquiat prennent vie, elles s’enrichissent d’anecdotes constituant l’histoire de la peinture de celui que René Ricard surnomme « The Radiant Child ». C’est le cas du tableau Arroz con Pollo :
« Ils s’assoient pour manger nus. Jean-Michel a fait son plat préféré : arroz con pollo. c’est sa mère portoricaine qui le lui a appris. […] C’est un tableau : Arroz con Pollo, 1981, acrylique et huile sur toile, 172 x 213cm. »
Montée et descente
Au commencement vient pour Suzanne la découverte de New York, les petits boulots dans les bars, la rencontre de Basquiat, et les débuts de la célébrité. Elle quitte sa vie d’enfant « sachant la dimension de ses os« , cadeau d’un père violent, pour embrasser une existence bohème à New York, d’abord marchande de cigarettes, puis serveuse. C’est à cette époque qu’elle rencontre Jean-Michel Basquiat, qui vient vivre chez elle, avec « juste une radio cassée et une boîte de conserve pleine de crayons de couleur« . C’est le début d’une passion, d’un amour fusionnel autant que destructeur, les constituant comme les deux faces d’une même figure.
Cependant, à mesure que Basquiat gagne en notoriété, il s’enfonce proportionnellement dans la toxicomanie, tandis que sa relation avec Suzanne devient irrespirable. C’est toute la beauté de cet amour terrible qui entre-déchire ses parties, entre abandons, rejets, et retour en arrière.
« Il est incroyablement maigre et n’a plus de muscles. La drogue a fait de lui un fantôme. Ses yeux sont lumineux et immenses. Il dit qu’il sait qu’il va mourir du sida, donc rien n’a d’importance. »
Basquiat, un engagement artistique et existentiel
Si l’oeuvre de Jennifer Clement est l’occasion pour nous, lecteurs et curieux, de rencontrer les figures de Jean-Michel et de Suzanne, d’entrer dans leur Intérieur, avec ce voyeurisme déculpabilisé de lecteur, elle nous permet également d’appréhender un engagement total pour l’art, fortement lié chez Basquiat à son désir d’égalité des blancs et des noirs. Que cela soit les anecdotes sur son Obnoxious Liberals, ou encore sur son St. Joe Louis Surronded, sensé dénoncer l’absence de Noirs dans les musées, et beaucoup d’autres, Basquiat vivait et peignait avec une provocation constante, traduite en une signature devenue célèbre, une couronne ironique et insolente. Suzanne disait d’ailleurs :
« Tout était symbolique chez lui […] Il tâchait de se faire remarquer, de réveiller les gens à l’aide de symboles hors contexte. Cela tant dans sa peinture que dans ses actions. Il ne prenait rien tel quel. Toute idée, toute croyance, toute norme était très rapidement examinée et utilisée dans son art.«
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Article écrit par Julie Madiot