D’un burin de fer – vingt ans de poésie israélienne engagée (éditions Al Manar), c’est l’entreprise dans laquelle s’est investie la poétesse israélienne Tal Nitzán : une anthologie, traduite en France en 2014, rassemblant des poèmes de 1984 à 2004, accompagnés des dessins de Rachid Koraïchi, pour décrire une réalité inacceptable que l’artiste – dessinateur ou poète – incendie par son témoignage. De fait, le but du projet vise à dénoncer les exactions commises dans leur pays à l’encontre du peuple palestinien.
D’un burin de fer : l’engagement du poète
On a tendance à percevoir le poète comme l’homme mallarméen, reclu dans sa tour, loin du commun des mortels. Cette représentation est une image faussée, contaminée par le romantisme dix-neuvièmiste. Au lieu de cela, Tal Nitzán nous présente un panel d’auteurs, tantôt en colère, tantôt tristes – souvent les deux -, qui refusent de demeurer éloignés du monde : ils s’y inscrivent au contraire avec force et affirmation. Prenons en exemple le deuxième poème de l’anthologie, de Rami Dizani, Pleurer le pays aimé commençant par « Je pleure car mon peuple n’a pas de cœur pour pleurer« . Comment alors ne pas penser à Césaire et à son Cahier d’un retour au pays natal qui chante cette « ville passée à côté de son cri » ? C’est cela le poète : le créateur qui donne sa voix à ceux qui ne l’ont pas, ou plus.
De la responsabilité de faire porter sa voix
Le poète comme éducateur des foules, de ce que Rami Dizani désigne comme une « pré-nation » car « nation dépourvue d’hommes-frères, d’unité, de compassion, dépourvue d’amour humain« . Dans son poème, et dans ceux de beaucoup d’autres dans le recueil, il dit sa honte, celle d’un homme face à la violence banalisée, à la perte de l’identité, à l’indifférence des hommes entre eux, qui continuent leur vie, vaille que vaille :
[…] j’ai tout fait pour continuer
dans l’ordre des choses,
mais le soir, la télévision éteinte, je l’ai aperçue
grimpante, sifflante,
[…] la fissure qui se forme
[…] alors que
nous continuons.
Arik A. Palestine-Eretz Israël
Pourtant, tous ces poètes disent autre chose que le désespoir et le renoncement. Leur voix porte en elle les germe du refus, le refus de considérer les hommes comme déjà morts, le refus de devoir renoncer à leur voix, le refus d’une abnégation à la violence et à l’injustice du quotidien.
Mot du poète : Je n’ai pas le choix,
même si tout cela est le produit
du régime – l’histoire de la poésie
aussi bien que les frontières
du parler – je n’ai pas le choix,
je dois m’opposer
Yitzhak Laor, Veau
D’un burin de fer : une oeuvre polyphonique
Il s’agit donc bien d’une entreprise à plusieurs voix, lesquelles interagissent et participent à un discours commun, celui du droit des peuples à vivre en paix. Poésie en prose (Rami Dizani, Je suis Pourim), en vers libre (Dahlia Rabikovitz, Nos ravisseurs nous ordonnent de chanter), fragmentaire (Tuvia Rubner), ou au contraire amplifiée (Tamir Grinberg, Louange), hommes ou femmes, tous et toutes poètes(ses) avant toute chose.
C’est donc un chant d’amour qui se déploie au travers de ces pages, un chant qu’il m’a semblé important de partager, dans une époque où les murs remplacent les échanges, où les peuples sont rejetés de leur pays, martyrisés, et où l’étranger devient source de peur et de rejet. Dans un tel cas de figure, la voix du poète est primordiale, elle nous rappelle à nous-même, à ce qu’il y a d’humain en chacun de nous, et nous pousse à rechercher cette commune racine d’humanité en l’autre.
D’une fatigue à tête haut levée
nous avons cultivé la poussière dans nos corps
mais ce qui nous relie ici pourrait
encore être réparé en ce lieu.
Asher Reich, Sous l’olivier
Article écrit par Julie Madiot