L’américain John Fante, que certains considèrent comme un précurseur de la Beat Generation (Kerouac, Ginsberg, Burrought, …), auteur de prédilection de Bukowski, mais aussi scénariste et essayiste, a plus d’une corde à son arc. Il est notamment connu pour ses romans au ton provocateur, âpre, et poétique tels que Ask the dust (1939), mais aussi The Road to Los Angeles (1933), et My dog Stupid (1986).
Son roman The Wine of youth, publié en 1985, est une ode à l’enfance, à la dureté et aux rêves de gosse qui animent le jeune Jimmy, enfant d’une famille italienne, immigrée en plein Colorado. Jimmy raconte alors l’existence de sa mère, Maria, dont « le labeur avait ramolli et blanchi [les] bras comme de l’argile séchée« , de son père, Guido, poseur de brique de son état, de ses frères et de sa sœur, ses compagnons de jeux autant que ses rivaux.
De fait, The Wine of youth est le récit d’une enfance initiatique, d’un héritage culturel parfois difficile à accepter, d’une découverte progressive de la langue et de l’écriture, et pour cela, ce roman mérite toute notre attention.
Retour sur une enfance américaine
Au sein de ce roman, Fante développe une palette thématique à la fois riche et corrélative. S’y entremêlent le rapport au père, l’acceptation difficile de son héritage, le désir persistant de s’évader, par le train comme par les mots, et une haine doublée d’un amour non moins viscéral de ce que l’on reconnaît de soi en l’Autre.
Ainsi, pour le jeune Jimmy, l’apprentissage de l’adolescence vient en même temps qu’un mépris de son héritage. Ne pas être natif américain est alors perçu comme une tare, une exclusion de la majorité et de ce qui est acceptable, dans un pays construit autour d’immigrations successives.
« De temps à autre, j’entends parler d’un certain Dante. Mais dès que je découvre qu’il était italien, je le déteste comme s’il était vivant, comme s’il arpentait ma classe en me montrant du doigt. »
Du père au fils
À cela s’ajoute un rapport bouleversant qui s’instaure entre le père et le fils, véritable fil conducteur de ce roman. Guido, homme âpre, dure, fort, qui s’use la santé au travail et dans l’alcool, mais aussi homme faible, aspiré par une vie dont il perd le contrôle, à commencer par son fils, Jimmy, qui lui échappe dans une continuelle fuite en avant. Que cela soit au travers d’une fugue ratée, qui illustre merveilleusement le désir d’évasion d’un gosse avide de vivre ses rêves de baseball, où par le travail d’écrivain de cet enfant devenu adulte, Jimmy échappe à l’emprise paternelle.
Il y a de l’amour dans le regard que l’enfant pose sur son père, mais aussi du rejet, de la peur, celle de devenir un jour comme Guido. Pareille à une malédiction générationnelle, l’enfant a conscience d’être l’héritage de son père, à son corps défendant, constitué d’une même « traîtrise » et d’une même « graine de la grandeur ».
« Je regarderai mon père par-dessus le bord de mon verre de vin. Je me verrai moi-même. Regardant mon père, je reconnaîtrai la cruauté et la traîtrise que je porte en moi. […] mon père porte toujours en lui la graine de la grandeur, mais cette graine s’est étiolée […]. »
Ainsi, comme John Fante sait si bien le faire, d’une écriture sobre, abrupte, qui recherche le mot vrai, The Wine of youth se fait l’expression pure d’une fracture au sein d’une famille, sous le regard impitoyable d’un enfant, mais aussi d’une fracture existentielle qui, noyée dans le quotidien, est rendue appréhendable à travers les mots du romancier. Il s’agit donc d’un roman lucide, accidenté, qui porte en lui une vision déshabillée de tout superflu, une vision de l’Écart et de la Rupture.
« Mon père continuera de remplir mon verre, et, ensemble nous boirons, et sans cesse nous sentirons cette parenté qui est un ravin qu’aucun de nous ne pourra franchir. »
Article écrit par Julie Madiot