Tout le monde connaît Tarzan. Soit par des films ou des dessins animés. Mais connaissez-vous l’œuvre de départ ? Le scénariste Christophe Bec et le dessinateur Stevan Subic proposent de revenir aux racines du mythe dans cette adaptation fidèle du livre d’Edgar Rice Burroughs chez Soleil.
Tarzan au milieu des cris muets de la jungle
L’ambiance est posée dès le début. Après le vol d’un bébé anglais par des gorilles et le meurtre de ses parents, le texte disparaît. En effet, l’enfance de Tarzan parmi la meute de gorilles se déroule logiquement sans parole. Tout passe par le dessin et par sa précision anatomique des expressions des singes qui arrivent à transmettre une grande variété d’émotions. La plus grande force de ce premier volume est le splendide travail de Stevan Subic. Son dessin réaliste permet au lecteur d’être un espion dans la jungle au milieu des gorilles. Le mouvement des corps des gorilles est très bien rendu. On se croit dans un documentaire animalier et donc l’adoption est crédible. L’encrage très subtil à l’encre de Chine renforce encore cette précision tout comme le travail du coloriste Facio.
La nature est belle mais aussi violente à chaque page. Le lecteur ressent l’amour de la femelle pour le bébé humain. Il craint que la jalousie du chef de meute menace le fragile enfant. Il partage la honte de l’adolescent devant son manque de force et, en voyant son visage humain dans un lac, on comprend donc pourquoi Tarzan se couvre de boue. On a mal pour lui quand il est frappé violemment par un coreligionnaire. Cependant, devenu un homme, Tarzan gagne en force et en intelligence, sauvant un gorille par ses talents de nageur.
Et au milieu des paroles humaines
Le texte revient quand Tarzan retourne sur le lieu de son enlèvement et qu’il acquiert une conscience. En écoutant la musique, il apprend la parole, les images des livres lui apprennent sa différence : il est humain et non pas gorille. Très intelligent, il déchiffre seul certains mots et découvre la pudeur. Il obtient le respect du groupe en le sauvant d’un danger incompréhensible pour les singes. Son cri apparaît suite à sa première victoire lors d’un combat. Il devient même le roi des singes et lutte toujours contre son humanité. Tout cela le pousse à se détacher progressivement du groupe pour faire sa propre éducation. Ses sens s’affinent également. Cette partie plus bavarde n’est pas pour autant froide. On ressent la tristesse de la mère de voir son enfant devenu adulte s’éloigner d’elle.
Les dialogues reviennent par l’arrivée dans la région d’une expédition britannique, belge et française. Leur but est l’exploration scientifique. Ils recherchent le chaînon manquant entre l’homme et l’animal. Mais leur lourde arrogance viendra bouleverser la vie de Tarzan. Tous ne sont pas des européens affamés d’aventure et d’héroïsme. Cette arrivée marque le choc entre sauvagerie et civilisation mais le plus moral n’est pas celui que l’on croit.
En effet, le récit évite le manichéisme car des ennemis et des alliés de Tarzan se trouvent des deux côtés. Une jeune femme en particulier, Jane, voit dans l’Afrique un espoir de découverte scientifique et un espace de liberté pour échapper à la société misogyne anglaise. Des remarques sur l’importance de préserver l’équilibre de la nature font écho à notre modernité mais aussi on sent également poindre les théories racistes du darwinisme social. Tarzan, fils d’aristocrate avait les gènes pour dominer les animaux mais aussi les africains. Malgré ses traces du passé, le récit est plein d’action et quel plaisir de retrouver le célèbre dialogue : « Moi Jane, toi Tarzan ».
Tarzan Seigneur de jungle est une histoire sombre et violente car elle est fidèle au roman d’Edgar Rice Burroughs. Les dessins de Stevan Subic réussissent avec un immense talent à rendre ce récit crédible et touchant à la fois dans la première partie animalière et dans la seconde au milieu des humains. Le scénario de Christophe Bec a le courage de commencer par une longue partie sans aucun dialogue. Alors que les mots reviennent, Tarzan se révèle être un homme brisé entre deux mondes : la vie brutale de la jungle et les codes stricts de l’aristocratie anglaise.
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