Père de la psychanalyse, Sigmund Freud est un penseur majeur du XXe siècle mais aussi un homme paradoxal comme le prouve une passion mortelle. Découvrez-la dans la chronique d’une bd relatant la fin de sa vie…
De l’histoire d’un homme, Freud…
Pour son troisième livre chez La Boîte à Bulles, William Roy travaille en duo avec Suzanne Leclair sur les derniers moments de Freud. Ensemble, ils partent de la découverte par Freud âge de 65 ans d’une grosseur dans la gorge. Cette tumeur bouleverse la vie de l’inventeur de la psychanalyse. Durant plus de 15 ans, Freud luttera contre sa maladie… tout en refusant d’arrêter de fumer, persuadé que le cigare augmente sa productivité et lui permet de garder une meilleure maîtrise de lui-même.
La cigarette est la révélation des contradiction de l’homme et rend le génie touchant. Il est un grand amateur de cigares cubains qu’il fument en grande quantité. Selon sa théorie, fumer est un substitut à la masturbation… mais elle ne s’applique pas pour lui. Malgré les multiples demandes de ses médecins, Freud refuse de lâcher le cigare. Même après de lourdes opérations, il poursuit à fumer avec une pince à linge. Ce caractère borné surprend. Freud est un patient indocile et moderne souhaitant une relation égalitaire avec son médecin. Dès le début, il envisage l’euthanasie s’il souffre trop. Même malade, il continue pourtant à consulter et à écrire.
Le dessin à la pastel des deux auteurs fait émerger les failles de chacun. Les images illustrant l’insoutenable douleur de Freud sont déchirantes sans verser dans le gore. Les pages suivantes forment un échiquier entre le texte et l’image, entre des cases blanches avec le descriptif des prothèses et les cases sanguines abstraites où des taches figurent la douleur.
… à l’histoire d’une science et d’un effondrement
Le moment venu débute à Vienne à l’aube du XXe siècle. Roy et Leclair montrent le lieu de naissance de la psychologie. Cette partie illustre aussi le contexte d’une floraison culturelle et mentale dans tous les domaines. Le livre croise donc l’histoire d’une science et un contexte lourd. Depuis l’annonce de son cancer, Freud refait le même rêve vingt ans plus tard. Il reprend les auto-analyse qu’il avait fait à l’époque. En fin de volume, des références bibliographiques et des notes pour comprendre l’origine de certaines citations et le sens de certains mots sont très pédagogiques sans alourdir le récit.
La maladie de Freud illustre également les contradictions entre ce qu’on dit et ce qu’on pense. Le lecteur découvre tout le complot qui se trame pour le soigner sans lui dire. Ses médecins lui cachent la gravité de son mal pour le bien du patient ou d’un proche. Freud a été choqué de ce mystère alors que toute sa vie a été consacrée à mettre à jour ce que l’on cache en soi. Le livre parlant des non-dits, il est alors paradoxal de montrer les pensée des personnages. Le moment venu est également une leçon sur la médecine. Freud subissant de multiples opérations, on découvre que la chirurgie ressemble à l’époque à de la boucherie. Le moment venu est aussi le récit d’une amitié entre Freud et son médecin, Schur. Il lui donne un barbiturique lui permettant de se suicider si Freud est arrêté.
En effet, en parallèle à cette agonie d’un homme qui se tue à petit feu, c’est toute l’Europe qui plonge dans l’autodestruction. Adolf Hitler devient chancelier en Allemagne en 1933 puis va annexer l’Autriche. Freud saisit très mal le risque alors qu’il est haï par les nazis. Sa vie traverse pourtant les soubresauts de la première moitié du XXe siècle. Il refuse longtemps de quitter l’Autriche même sous la pression de ses amis. C’est l’argumentaire de son médecin personnel qui le convainc de fuir.
Freud le moment venu est un récit très sombre suivant en parallèle l’agonie d’un homme et la disparition d’une culture autrichienne par l’arrivée du nazisme. Le livre présente aussi un portrait complexe du fondateur de la psychanalyse : génie, homme borné et résistant au nazisme. Sa fin honorable est très belle.
Sur le site, il existe d’autres biographies en bd mais de personnages bien moins reluisants avec Poutine et Erdogan.
