Les amants d’hérouville, le récit d’un lieu mythique publié chez Delcourt est enfin disponible.
Des flammes ravagent le château d’Hérouville. Le propriétaire Michel Magne vient constater que toute ses compositions de sa jeunesse à 1969 sont parties en fumées. Il est certes atteint mais ce n’est que le début de l’histoire de cet ancien relais de poste dans le val d’Oise qui va devenir un lieu mythique du rock.
On va le découvrir par le personnage de Marie-Claude, la future épouse de Michel. L’été suivant l’incendie, le compositeur prend dans sa Porsche blanche cette jeune ado. Arrivant au château, elle y découvre des fêtes délirantes avec bien entendu des musiciens mais aussi des chevaux et des hommes grenouilles. Les invités se baignent en tenue de soirée. Ce château est peuplé de personnages hauts en couleurs avec un cuisinier qui récite Baudelaire et fait la morale à son patron. On découvre comment l’annulation d’un festival de musique psychédélique a permis à Michel d’accueillir un concert du Grateful Dead et une fête de village où le LSD s’est mélangé à de grands crus de Bordeaux.
C’est en louant le studio que Magne paye les réceptions et l’entretien du château d’Hérouville. En effet, Michel Magne perçoit avant les autres français l’évolution des studios. Ce ne sont plus des immenses labos avec des techniciens dans le centre des villes mais des lieux d’inspiration en campagne. Les artistes et les maisons de disques françaises refusent au départ cette proposition. Le salut viendra de l’étranger par la persévérance de Magne et son carnet d’adresse. A son apogée, le château d’Hérouville rassemble deux studios et accueille le gotha de la pop anglaise des seventies – Elton John, David Bowie, T. Rex… mais aussi des français : Michel Polnareff, Eddy Mitchell, Johnny Halliday… Les séances se multiplient mais aussi les factures. Michel cède la gestion des studios à une entreprise parisienne et se retrouve progressivement mis de côté. Il quitte même le château pour s’installer dans le Midi. Ce départ marque la fin de l’apogée de sa carrière.
Pour nous faire pénétrer dans la folle ambiance du château d’Hérouville, le style du dessinateur Romain Ronzeau rappelle une ligne claire modernisée avec des lignes épurées mais qui laissent transparaître la main de l’artiste. Il cherche la simplicité – on peut penser à Dupuy et Berberian – mais derrière cette épure, la composition des pages est brillante. Derrière les cases, on peut retrouver un fond de lignes abstraites ou de portées. Le cadre rigide du début explose en une tapisserie de motifs psychédéliques lors du concert du Dead. Les couleurs s’assombrissent au fur et à mesure que la gloire de Michel Magne s’éloigne. Ce dessin se mêle dès les premières pages à des photos personnelles de Michel Magne errant dans les décombres. En effet, avec le scénariste Yann Le Quellec, ils font le choix de construire un livre composite comme une mosaïque.
Le récit d’un couple méconnu
Officiellement engagé pour être la baby-sitter des enfants, Marie-Claude devient bien plus que cela car Michel est fasciné par la joie de vivre de la jeune fille. Il la drague. Mais Marie-Claude n’est pas dupe car si elle profite des fêtes, elle voit aussi les dérives financières et le manque d’organisation. Peu à peu, elle devient l’intendante du château d’Hérouville puis la compagne du maître du domaine. Elle est une ombre discrète mais décisive.
Au contraire, Michel veut toujours être au centre. Une chronologie éclatée disséminée au cours du récit fait découvrir son enfance. Son enfance a été marquée par la Seconde Guerre mondiale. Très jeune, Michel est un pianiste doué mais un écolier incapable d’accepter la discipline. Il quitte l’école à 15 ans et demi pour devenir musicien professionnel. Il s’inscrira dans tous les genres et fera vomir des gens lors d’un concert. Ce parcours chaotique fera de lui un compositeur de musique de film avec une attitude décontractée et provocante. Il va toujours vite, plus vite que les autres. Cet homme fantasque rend fou l’ingénieur du son par ses demandes et son amateurisme. Depuis le début de sa carrière, il a des dépenses folles et sa vie personnelle et professionnelle se mélangent. Il en fait trop. Il prend des cachets pour tenir un rythme surhumain et laisse les finances plonger. Ses amis le fuient et Magne ne cesse de vouloir récupérer son château.
Les auteurs ont fait un long travail de recherche qui est inclus dans la bd édité par Delcourt : un plan du château d’Hérouville au début, de nombreuses photos privées et inédites, des extraits des journaux sur le mariage au milieu du récit, des discographies, une chronologie du château d’Hérouville et des séances d’enregistrement en fin de volume.
Les amants d’Hérouville est une réussite totale. Chaque page transmet la passion qui anime les artistes. Non seulement, Yann Le Quellec et Romain Ronzeau reconstituent une époque folle et la vie délirante dans un lieux mythique mais ils racontent une histoire d’amour touchante et la vie d’un homme entier profitant de tous les plaisirs de la vie quitte à tout brûler, y compris lui-même.
Si vous aimez les chroniques de vie, vous pouvez découvrir L’homme le plus flippé du monde dans ce texte ou partir en Indonésie ici.