La dessinatrice montante aux États-Unis s’associe avec le scénariste de Locke & Key pour proposer une redoutable fable écologique. Sortez votre parapluie par balles pour lire notre chronique sur Rain.
Mourrons sous la pluie de Rain
Rain s’ouvre par une scène bucolique. À Boulder dans le Colorado, le couple d’amoureuses est allongé dans l’herbe lors d’une belle journée estivale. Honeysuckle Speck discute avec sa petite amie Yolanda des formes des nuages. Cependant, le récit en voix off plus lourd annonce une catastrophe à venir. De sombres nuages annoncent une pluie mais, au lieu de gouttes d’eau, ce sont des clous qui descendent du ciel tuant tous ceux qui étaient dehors. Le phénomène local déclenche une réaction en chaîne. En effet, le déluge de clous voyage à travers le pays aboutissant à un effondrement global de la société américaine.
Ce pitch étrange vient d’une novella de Joe Hill. Dans la préface, il explicite l’origine de Rain. Si les épines font penser à la couronne du Christ, cette pluie n’est pas une punition divine. Furieux des théories climats-sceptiques du camp trumpiste, il a voulu exposer son point de vue. Cependant, Hill a en horreur les œuvres à message et préfère la force de la fiction. Il a donc l’idée de cette pluie d’aiguille, un phénomène que les complotistes ne pourraient nier. Cette métaphore des bouleversements climatiques démontre que l’humanité ne contrôle pas la nature. Au contraire, la nature donne une leçon de puissance. Pourtant, l’adaptation par le scénariste David M. Booher modifie le texte originel pour insister sur le deuil puis la résilience.
Cependant, ce récit complet dépasse le message écologique par la force du personnage d’Honeysuckle Speck. Joe Hill voit en elle la force de son récit. Partant à la recherche de sa famille, elle est une Sherlock Holmes queer. Traversant à pied, les grandes plaines américaines, elle devient un cowgirl punk. Le nom de sa compagne est très symbolique : Yolanda Rusted, signifiant en français rouillé.
Une catastrophe nuageuse
Rain est également un film catastrophe suivant les étapes d’un blockbuster. Une scène paradisiaque décrit une communauté heureuse et solidaire. Ce groupe est brisé par l’arrivée d’un désastre imprévu. Le lecteur est encore plus secoué en assistant dès les premières pages à la mort d’une personnalité importante. La suite détaille les tentatives de plusieurs personnages pour échapper à la mort et dépasser leur deuil. A travers ce thème, Rain réfléchit sur la famille. Le scénario oppose la famille génétique et la famille choisie. En raison de son orientation, Honeysuckle a été exclue par ses parents homophobes. Au contraire, les parents de sa copine noire l’intègrent tout de suite bien que le père soit pasteur. La famille élargie du quartier est brisée par la pluie. La solidarité laisse place à des oppositions violentes en raison des choix radicaux dans la nouvelle situation.
L’auteur Joe Hill vante le talent de la dessinatrice Zoe Thorogood. Son style très personnel mélange des formes réalistes des véhicules ou des logements avec une absence de profondeur. Le décor très vide contraste avec des personnage jamais immaculés. En effet, leur visage a des taches de rousseur ou est barré par des mèches de cheveux. Malgré ce style presque underground, Zoe Thorogood réalise des pages très crues sur la violence de la pluie. Transpercées d’épines, les cadavres sont désarticulés. Elle impressionne par les doubles-pages parsemées d’incrustations et les longues plages verticales en forme de travelling avant.
Édité par HiComics, Rain est une belle réussite par deux artistes en devenir. Le scénariste n’a écrit que quelques livres mais prouve ici son talent tandis que la dessinatrice ayant explosé avec Dans les yeux de Billie Scott confirme ses multiples qualités dans ce récit de genre.
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