Dans la lignée des Vieux fourneaux, Eacersall et Vallée nous proposent une aventure régionale dans Tananarive chez Glénat. Mais alors que le trio des Vieux fourneaux étaient de réels révolutionnaires, Tananarive propose une situation plus complexe…
Une amitié contrariée
Au cours des successives périodes de confinement, vous avez peut-être rêvé de voyager ? C’est aussi le cas d’un notaire à la retraite qui vient régulièrement écouter un grand aventurier qui a parcouru le monde. Joseph, ce vétéran de la Légion étrangère s’est engagé pour suivre Pinpin héros des bd de son enfance. Le lecteur pense forcément à Tintin mais chut ! Il faut éviter le procès. Par un coup d’œil sur sa bibliothèque, on découvre qu’il est fan de la littérature d’exploration comme Conrad et Kessel entre autres. Toutes ces lectures lui apportent une force que l’on ressent dans ses récits. En buvant ces paroles, l’ex-notaire quitte par la pensée son pavillon de banlieue et sa femme conventionnelle pour voyager dans les pays tropicaux. Le dessinateur Sylvain Vallée rend cela très bien dans Tananarive. On profite de ces pages muettes pour admirer son style oscillant entre le classique franco-belge comme les visages à gros nez et le réalisme plus moderne de tous les décors. La colorisation de DELF est splendide.
Les premières pages de Tananarive montrent que le notaire et son voisin forment un duo très différent. Physiquement, l’un est grand fin et barbu alors que l’autre est petit et rond. Leurs vies passées et présentes sont aussi radicalement différentes. L’un est libre et vit nu dans la nature (de son jardin) tandis que l’autre est gavé de médicaments par une épouse collante. Pourtant, c’est le cœur de l’aventurier qui lâche en premier. Cette mort dévoile une tout autre réalité…
Trouver l’héritier
Une fois son voisin disparu, le survivant est inconsolable et déprimé. Il se rend régulièrement sur sa tombe pour lui rendre hommage et discute avec son fantôme – mais seulement en pensée. Discret et tenant à sa retraite, il refuse de se mêler de la succession. Cependant, il est poussé par l’empressement du maire de cette ville pavillonnaire qui est avide de récupérer la maison. C’est lors de premières démarches que le notaire découvre alors que toutes ces aventures sont inventées. Elles viennent des bd de Pinpin. Se sentant trahi, le notaire veut connaître la vérité sur ce voisin qu’il admire depuis quinze ans. Il règle ses comptes en parlant à son fantôme qui, à chaque fois, trouve une excuse pour préserver son statut d’aventurier colonial.
Dans Tananarive, l’enquête dans la généalogie d’un menteur est l’occasion de croiser beaucoup d’archives et de découvrir l’absurdité de l’administration. Les services de l’État civil ne peuvent pas donner l’adresse d’un habitant mais les listes électorales, gérées par la même personne, le peuvent. Le lecteur découvre le travail des notaires lors des successions. La généalogie devient une enquête policière et même identitaire. Cette enquête va autant permettre au notaire de découvrir la vérité sur son voisin qu’au lecteur de découvrir que ce calme retraité a un passé plus complexe que prévu. Le scénariste Mark Eacersall évite toute idéalisation de la colonisation. Si cette période est un mirage lointain pour les deux anciens, la réalité est plus dure.
Tananarive démontre la force de l’imaginaire qui permet de rêver sa vie et de réconcilier les êtres. Dessinateur d’Il était une fois la France, Sylvain Vallée démontre à nouveau son grand talent. Mark Eacersall écrit un récit sur l’identité et le secret que chacun porte en soi. Il termine cette quête par une fin touchante mais aussi dure pour tous.
Vous pouvez retrouver des chroniques de vie par les articles dans J’ai vu les soucoupes et George Sand.