Mai 68 a 50 ans mais que s’est-il exactement passé à Paris pendant ce mois de révolution ? Patrick Rotman et Sébastien Vassant nous donnent leur réponse dans La veille du grand soir, ce livre publié par le Seuil et Delcourt le 14 mars.
Un récit documenté pour la Veille du grand soir
Les premières pages atmosphériques semblent nous entraîner dans une romance en mai 1968 mais, très rapidement, l’histoire bifurque vers un récit journalistique. Patrick Rotman a été étudiant pendant l’agitation et organise l’histoire comme un témoin. Devenu documentariste, il a pu compléter ses souvenirs par des informations sur le pouvoir gaulliste. La fuite énigmatique de Gaulle est présentée les récits de plusieurs témoins comme le gendre du général puis Massu. Patrick, naïf étudiant de la Sorbonne qui retrouve une amie de lycée est la porte d’entrée pour le lecteur ainsi que deux syndicalistes fictifs.
L’enchainement des événement se suit très agréablement et sans ennui. Sans s’en rendre compte, le lecteur découvre énormément d’informations comme la grève des footballeurs professionnels en soutien aux étudiants. On s’attend à une armée d’étudiants alors que la foule viendra seulement à la fin du mois. Les violences policières et les insultes semblent être le déclencheur du mouvement qui prend une autre ampleur avec le rôle des médias et les grèves. Le lecteur découvre Chirac et Balladur comme conseillers du Premier ministre, Pompidou. Rotman nous montre un président De Gaulle dépassé qui voit la révolution politique partout mais se couche à 23 heures. « Il ne s’agit pas de prendre le pouvoir mais la parole » dit une manifestante.
Un voyage dans le passé
Au-delà de la succession des évènements, Rotman et Vassant nous proposent une plongée dans le passé en multipliant les documents de l’époque. Lors des manifs, on entend les chants révolutionnaires et les bulles retranscrivent des slogans célèbres – ouvrez les frontières de votre cœur… Des extraits de conversations téléphoniques éclairent la réaction du gouvernement. L’ambiance de certains lieux emblématique est prenante comme le théâtre de l’Odéon agité par les slogans qui fusent. Ces étudiants ont la nostalgie du Front populaire de 36 comme le lecteur d’aujourd’hui a la nostalgie de 68. Godard filme alors que Resnais manifeste. Dans plusieurs cases, on retrouve des photos emblématiques de mai reproduites partout mais sous un autre angle. Vassant fait un hommage plus qu’un vol car on voit Gilles Caron prendre ces photos mythiques.
Une agitation sentimentale
La veille du grand soir n’est pas un rébarbatif thèse historique sur Mai mais les personnages fictifs ou réels sont vivants et l’on ressent des sentiments exacerbés par l’agitation en tournant les pages. Certains épisodes sont très drôles comme le diner au début de l’agitation entre Fernandel et De Gaulle qui semble déjà las du pouvoir. Des anecdotes animent la froide succession des évènements comme le vieillard qui donne ses clés pour mettre sa voiture en haut des barricades.
Un dessin agité
A l’image des évènements, Sébastien Vassant a un dessin secoué où les traits sont visibles. Il ne cherche pas à être réaliste. Les décors sont plus suggérés que documentés. Beaucoup d’espace est laissé dans le dessin. On reconnaît la forme des personnages célèbres mais sans volonté d’être photographique. Il n’y a pas de case mais tout est rempli par une couleur dominant chaque double page – le vert kaki pour les souvenirs de Rotman, le marron pour les recherches journalistiques a posteriori.
Ce projet est co-édité par le Seuil et Delcourt avec une belle richesse de documents. Des encarts surgissent dans la BD pour préciser un évènement historique comme le Mouvement du 22 mars. En fin de volume, les célèbres sérigraphies de l’Ateliers des Beaux-Arts sont en bonus avec une frise chronologique.
En résumé, La veille du Grand soir est non seulement un récit historique richement document mais il fait sentir la tension et les espoirs des Évènements de mai à travers un dessin original tout en nous amusant par des anecdotes.