Dans J’ai vu les soucoupes, Sandrine Kerion raconte comment sa vie d’adolescente a basculé quand elle a observé des OVNI. Le début d’une bd de science-fiction ? Non, plutôt le basculement dans le complotisme.
X-Files en Bretagne
Encore lycéenne, Sandrine Kerion se passionne pour les films sur les extraterrestres mais croit qu’ils sont venus sur Terre et, un soir, elle voit des soucoupes dans le ciel. J’ai vu les soucoupes est le récit autobiographique d’une jeune fille perdue qui trouve sa voie dans l’espace. Avec un sujet si personnel, il est bien normal que l’autrice soit seule aux commandes assurant le scénario et le dessin de cette bd éditée par La Boîte à Bulles. Le premier choc vient du dessin.
Kerion fait le choix original de la bichromie avec des nuances de bleus. De plus, ses pages varient énormément le degré de réalisme. Si certains visages et décors sont très précis d’autres sont bien plus esquissés. Elle ose des inventions graphiques très réussies comme cette photo de classe où elle efface les visages mais laisse les insultes qu’elle subissait. En effet, le second choc vient de la profondeur autobiographique. Sandrine Kerion a gardé secret cet aspect de sa vie pendant vingt-cinq ans. Voyant des théories qui ont « bousillé une partie de sa vie » ressurgir, elle a déchiré le voile du secret. A l’époque décrite dans le livre, l’autrice n’a pas les codes des lycéens et lycéennes : elle collectionne les timbres et préfère Elton John à Nirvana. Elle est harcelée à l’école et n’a pour amie que les autres nerds de l’école mais à l’époque c’est loin d’être cool.
Cependant, J’ai vu les soucoupes est loin de la biographie sinistre. Sandrine Kerion est aujourd’hui adulte et a du recul avec cette crise pour comprendre ce qui lui est arrivée. Elle a grandi dans une famille mystique et déchirée. Ce rejet à la maison et à l’école la pousse vers des théories complotistes. Elle bascule totalement avec Rencontre du troisième type qui la fascine par la qualité du film et la biographie de Spielberg, lui aussi un nerd issu d’un couple divorcé. Elle bascule par l’esprit critique, remettant en cause « les thèses officielles » mais elle s’en sort de la même manière voyant les failles des théories d’ufologie
Un récit journalistique
En effet, J’ai vu les soucoupes n’est pas uniquement un témoignage mais Sandrine Kerion, spécialiste des reportages en bd, fait œuvre de journaliste. Au début des années 90, c’est bien plus compliqué de s’égarer dans des théories fumeuses sans internet. Pour l’autrice, son basculement serait dû à des talk-show qui propageaient les idées de farfelus que l’on invitait pour se moquer d’eux : Ciel Mon Mardi ou L’odyssée de l’étrange… bien avant X-Files. En se présentant comme une éponge absorbant tout sans recul critique, elle oublie cependant le rôle actif des spectateurs sceptiques. Le livre contient de nombreux témoignages proposant au fil des pages un panorama très large des ufologues. Kerion parle bien entendu de Roswell et de la lecture qui a lancé la carrière du cinéaste Orson Welles. On est très surpris de découvrir que le mythe des martiens remonte au XIXe siècle. Elle termine par QAnon et les illuminatis.
J’ai vu les soucoupes est à la fois un récit journalistique réussi et une biographie décalée. Par ses dessins originaux et son texte, Sandrine Kerion compose un récit à bonne distance entre les souvenirs touchants sur l’adolescence et le recul ironique de l’adulte. Cette belle réussite est de très bon augure pour son livre sur les Gilets jaune, Mon rond-point dans ta gueule.
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