Ce nouveau titre d’HiComics est un évènement. Il marque le retour du duo créatif, Joe Kelly et Ken Niimura ayant déjà écrit la splendeur I Kill Giant. Immortal Sergeant est-il au niveau de cette première œuvre commune ?
Le duo explosif d’Immortal Sergeant
Joe Kelly, scénariste ayant marqué la série Deadpool, installe d’emblée la tonalité d’Immortal Sergeant : une voiture arrive en trombe sur un golf. C’est le détective Jim Sargent qui vient célébrer sa proche retraite en jouant de son gros gun. Ce personnage nous fait rire. Il est si imprévisible qu’il en devient dangereux. Pourtant, il n’est pas aimable. Très à cheval sur le respect de la loi, il rembarre des jeunes détectives venus prendre leurs marques dans leur prochain bureau. Réactionnaire, il n’hésite pas à lancer des propos homophobes. Alcoolique, il a sa place réservée dans un bar. Invivable, sa femme a demandé le divorce. On pourrait croire que Clint Eastwood arrive en bd.
Immortal Sergeant repose sur une ficelle bien connu de la comédie : associer deux personnes que tout oppose. En effet, Sarge est contraint de travailler avec son fils Michael pour résoudre une ancienne enquête qui le ronge depuis longtemps. Michael a choisi une voie très différente de son père. Il ne supporte pas la vue du sang et fuit les tensions au lieu d’affronter les problèmes. Pour la première fois de sa vie, Sarge demande de l’aide à Michael, qui en est tellement abasourdie, qu’il ne peut dire non. Immortal Sergeant est le récit d’une filature. Cependant, le polar est sans cesse parasité par l’humour, par les difficultés relationnelles entre les personnages principaux.
Une relation père-fils ratée ?
L’enquête d’Immortal Sergeant n’est qu’un prétexte pour faire évoluer les personnages. Sarge fait certes des blagues mais elles traitent tous d’une volonté de se suicider. Il n’est pas si insensible qu’on pourrait le croire, mais il a juste une méthode maladroite pour aider les autres. Personne ne correspond à un modèle. Immortal Sergeant pose aussi la question des relations raciales aux Etats-Unis. Tous les flics les plus anciens sont blancs et de plus en plus racistes au fil de leur carrière.
Si les cases d’Immortal Sergeant vous rappellent le manga, ce n’est pas un hasard. En effet, le dessinateur Ken Niimura, d’origine espagnole et japonaise, vit aujourd’hui à Tokyo. On retrouve l’influence japonaise dans les expressions stylisée des personnages pour la surprise ou la joie ainsi que dans le choix du noir et blanc. Cependant, le format et la mise en page sont plus proches des comics. C’est par ce talent qu’il réussit à rendre hilarant les pires souvenirs d’enfance. Il lui permet par des raccourcis visuel d’aller très vite : sur quatre cases, on voit Michael subir les récits violents de son père à différents périodes de son enfance pour finir sur le divan d’un psy.
Régulièrement, des images en gros plan d’une victime reviennent montrant la traumatisme de Sarge qui, littéralement, ne peut vivre au quotidien sans y repenser. On comprend alors qu’Immortal Sergeant dénonce les codes masculinistes de la génération précédente. Ce mode de comportement empêchait de se faire aider en case de crise, l’alcool ou la violence remplaçant le psy.
Les bonus d’Immortal Sergeant sont passionnants. La postface de Joe Kelly permet de comprend en quoi ce récit est profondément autobiographique. Dans les textes suivants, Ken évoque la genèse du projet, puis nous fait rentrer dans les premiers moments quand il cherchait à donner forme aux personnages. On voit qu’il s’est physiquement investit dans le comics. On découvre son exigence : il a conçu le logo et choisi le papier. Ayant sacrifié des pages, il nous les offre en bonus.
Édité par HiComics, Immortal Sergeant est une brillante réussite digne de l’œuvre précédente de Joe Kelly et Ken Nimura. Par la création de deux personnages hauts en couleur, la lecture est passionnante. Ce duo dysfonctionnel pourra-il surmonter ses propres blocages pour la réussite de cette entreprise ? Immortal Sergeant devient même très touchante en abordant le sujet du pardon. Le scénario est taillé pour un long-métrage avec un générique au début et à la fin. On ne peut que rêver d’une future adaptation.
Retrouver avec Rain et Blue in Green, deux autre perles du catalogue HiComics.