Gondelour, une bataille navale pour rien ?

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Issue de la collection Les grandes batailles navales, Gondelour nous relate une bataille aujourd’hui méconnue qui a pourtant fait de Suffren un amiral majeur de la marine française. Prenez la mer avec lui pour vivre de l’intérieur un combat du XVIIIe siècle.

Gondelour : Les Grandes batailles navales

Riche de quatorze titres et alors que deux nouveaux volumes viennent de sortir, cette collection vous embarque dans les batailles navales de l’histoire de l’Antiquité à la Seconde Guerre Mondiale. Il s’agit d’ailleurs d’une coédition de Glénat et du musée national de la Marine. Entièrement scénarisé par Jean-Yves Delitte, il s’associe avec un dessinateur différent pour chaque album et rédige un dossier documentaire complet en fin de chaque volume. Comme le montre également la préface du Conservateur général du patrimoine, on est pleinement dans une bd historique qui cherche à instruire le lecteur. Dans ce nouveau titre, on le retrouve dans un dessin foisonnant avec des dialogues très présents qui donnent de précieuses informations pour comprendre les enjeux complexes d’une bataille méconnue.

Une bataille lointaine

Une bataille aux larges des Indes

Gondelour est un titre à part dans la collection car il est également dessiné par Jean-Yves Delitte comme s’il voulait être sûr d’être le seul maître à bord. Est-ce pour la carrière à part de Pierre André de Suffren ? En 1781, cet homme a déjà beaucoup d’expérience mais sa carrière est au point mort. Corpulent et mal soigné, il a de plus une humeur capricieuse et un franc-parler qui ne conviennent pas à la Cour. Lorsque la guerre d’indépendance aux États-Unis est lancée, il pense que le moment est venu de démontrer son talent. Larguant les amarres pour l’océan Indien, Suffren est chargé de perturber le commerce anglais dans cette région et pousser ainsi le royaume à accorder l’indépendance à ses colonies américaines. Cet homme confit dans l’esprit d’honneur et de gloire refuse les nouvelles règles qui visent à éloigner les amiraux de la bataille pour les protéger. Dans son carnet, il écrit qu’il est prêt à tout pour enfin accéder à la glorieuse fonction qu’il désire. Alors que les rumeurs de paix se renforcent, Suffren s’entête pour l’honneur et préfère accélérer l’affrontement que de vérifier ces informations.

Gondelour narre les affrontements au large de l’Inde entre l’Angleterre et la France sur un terrain annexe de la guerre d’indépendance américaine. On découvre aussi le rôle des pays neutre. Un capitaine danois donne des informations aux anglais contre de l’argent. La mise en page variée permet de montrer les bateaux en action dans des double pages puis, par des cases denses, les dialogues entre amiraux. Le scénario évite avec brio les mensonges du roman historique. On est loin de la guerre en dentelles souvent présentée pour le XVIIIe siècle. Les combats sont effroyables car pour être bien ajustés les tirs doivent très proches des fragiles navires en bois. De plus, les puissants canons mutilent ou tuent en masse. Le sang est partout sur les premières pages. Il n’y a pas d’idéalisation de Suffren qui opte pour la guerre légale ou devient corsaire selon ses avantages tactiques.

Un dessin expressif et précis

Un précipité de la société

Cette bataille est aussi un moyen de décrire l’ancien régime. Les bateaux sont un reflet de cette société inégalitaire. Les matelots mal payés mais solidaires prennent tous les risque sur les mâts ou lors des combats. Ils n’ont pas d’esprit patriotique mais veulent surtout éviter de mourir alors que les amiraux nobles ne pensent qu’à l’honneur. En raison de la compétition entre différents réseaux personnels, Suffren écrit au ministre des affaires étrangères plutôt qu’à celui de la marine. Entre ces deux pôles, les lieutenants, souvent issus de la moyenne noblesse, sont méprisés par les généraux car ces cadets ont opté pour l’armée plutôt que la religion. Plus ouvert sur la modernité, l’un d’entre eux s’intéresse aux philosophes des Lumières.

Ayant refermé Gondelour, le lecteur a passé un moment prenant en découvrant l’horreur de la guerre navale du XVIIIe siècle. Il a souffert avec les différents personnages, inventés ou historiques, du récit et pourra être choqué par cette bataille stratégiquement inutile. Il a aussi beaucoup appris sur la carrière de l’ambitieux Suffren et sur la société qui sera totalement transformée par la révolution française à venir.

Si vous voulez découvrir le versant plus aventureux du scénariste, vous pouvez suivre ce lien.