L’art peut-il changer un pays ? Un courant littéraire américain a voulu le faire et la bd Au crépuscule de la Beat Generation nous le montre avec détail mais aussi par une forme très poétique.
Les souvenirs de rencontres bouleversantes
Le titre du livre et son sous-titre, Le dernier clochard céleste, montrent la complexité du projet. Le scénariste, dessinateur et coloriste Etienne Appert vise à faire la description de l’intimité d’un homme et d’un collectif littéraire. En effet, Au crépuscule de la Beat Generation démarre des écrits de Gilles Farcet. Dans les années 1980, ce journaliste français a rencontré Allen Ginsberg plusieurs fois à New York. La rencontre avec ses textes avait bouleversé son adolescence et il a vécu pendant un an chez lui à New York. Le poète, activiste et archiviste de la Beat Generation est à l’époque une légende vivante des jeunes punks américains et toujours considéré comme un danger national par la CIA. Son poème Howl est un modèle de rébellion.
Trente ans plus tard, il reste engagé politiquement et aide les apprentis poètes au quotidien. Par les très belles pages, presque architecturales, de l’appartement de Ginsberg, on comprend que c’est plus un bureau d’un collectif qu’un logement. Mais quand se consacre-t-il à son œuvre ? Il est d’ailleurs conscient d’être devenue l’image publique de la rébellion et s’en amuse.
Le projet de créer un documentaire sur le poète est bouleversé par la rencontre d’un « clochard céleste ». Farcet croise dans l’appartement de Ginsberg un homme étrange. Hank est vulgaire mais veut réenchanter le monde. Chacun de ses mot devient une poésie par son rythme et son propos. Peu importe les personnages ou les thèmes mais seul compte le beat, le rythme. Le dessinateur Etienne Appert choisit de ne jamais montrer son visage mais des longues mèches de cheveux envahissent sa face. Au crépuscule de la Beat Generation crée du rythme par ces interruptions : ce sont les paroles de Hank.
Portrait d’une génération
Au crépuscule de la Beat Generation va encore plus loin en proposant l’histoire du mouvement littéraire auquel Ginsberg a participé. Au cours des années 1950, une nouvelle génération d’auteurs choque l’Amérique par un style percutant et des thèmes contestataires. Très jeunes, ils publient des monuments de la contreculture : Howl pour Ginsberg, Sur la route pour Kerouac et Le festin nu pour Burroughs. Ces hommes (en grande partie) sont aussi bien des novateurs littéraires que des précurseurs sociaux. Dès l’université, ils sont hippies et expérimentent le sexe libre et les drogues. Ginsberg a un rôle clé pour faire connaître ses amis et les protéger. En effet, des autorités les pourchassent. Dans les années 80, Gilles Farcet se demande ce que sont devenus ces artistes. Certains sont morts trop jeunes. D’autres sont devenus fous. La plupart se sont institutionnalisés.
Dans son dessin, Etienne Appert n’illustre pas froidement cette déchéance. Par un jeu sur la couleur, il évite le pathos tout en illustrant la triste folie. Au crépuscule de la Beat Generation évite les stéréotypes sur la drogue et le sexe pour se consacrer à la vision spirituelle et politique du mouvement. L’ouvrage pédagogique est fait pour le néophyte. Etienne Appert ne se contente pas de décrire ce qu’est la Beat Generation mais transcrit le rythme de ces hommes (trop) vivants. Plus que la réalité, le lecteur rentre dans l’esprit et l’âme du mouvement. Appert commence par un portrait réaliste de la ville mais on voit ensuite les vision de Ginsberg par des flashs colorés. Le noir et blanc du passé est perturbé par une tornade rouge montrant l’effet des textes Beat sur le lecteur puis on voit une explosion de couleurs et des formes quand l’adolescence crie sa rébellion. Au crépuscule de la Beat Generation va ensuite alterner entre des images réalistes et des transcriptions psychédéliques de la poésie beat. On peut penser à Druillet. La colorisation très fine permet par des couleurs inversées, un encrage lumineux d’illustrer les différents états de conscience. Dans un appendice au récit de Gilles Farcet, les pages finales décrivent les origines de la Beat Generation, plusieurs portraits d’auteurs et le rôle de transmission de la rockeuse Patti Smith.
Au crépuscule de la Beat Generation n’est pas une hagiographie mais le récit intime de la relation d’un homme, Gilles Farcet, a un courant littéraire. Par le talent du scénariste et dessinateur Etienne Appert, on découvre les effets de la poésie, comment des textes puis des rencontres ont changé sa vie.
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