Alors que la vidéosurveillance prolifère dans les villes françaises, le scénariste Yvan Greenberg, les dessinateurs Joe Canlas et Everett Patterson tirent la sonnette d’alarme sur la disparition des libertés dans La Machine ne ferme jamais les yeux chez Delcourt.
Big Brother est déjà là
Cette dérive dans la collecte de données est bien connue depuis les révélations d’Edward Snowden mais La Machine ne ferme jamais les yeux informe sur l’histoire de la surveillance de masse. Ce n’est pas juste la faute des grandes compagnies et des États car chacun livre ses données aux réseaux sociaux. Cette bd n’est pas un pensum mais un guide pratique dans la lignée d’Economix. On manque d’esprit critique et ce livre nous le démontre par le lien entre la formation du capitalisme, le système esclavagiste du Sud des États-Unis et l’essor du contrôle des masses par l’État et par le patronat. L’éclairante préface de Ralph Nader, surtout connu en France pour s’être présenté quatre fois en indépendant aux présidentielles, replace le livre dans le contexte de l’envahissement de notre vie privée par la télésurveillance. Des enregistreurs de frappe mémorisent les textes sur les ordinateurs alors qu’un seul virus informatique nord-coréen a infecté des millions d’ordinateurs. On met déjà une puce sur les chiens et les prochains seront les humains ?
On n’est pas là pour rigoler…quoique car des anecdotes amusent le lecteur comme le corps du philosophe Bentham exposé comme une poupée de cire. Le style ligne claire des dessinateurs Joe Canlas et Everett Patterson contraste avec le scénario journaliste d’Yvan Greenberg. De plus, le choix du noir et blanc permet de se concentrer sur le propos. Néanmoins, le scénario moralisateur flirte parfois avec le catastrophisme. Certaines thèses sont parfois discutables.
Racine du mal
Une fois cette situation posée, La Machine ne ferme jamais les yeux adopte une structure redoutablement efficace. Le scénario part d’une légende, détaille ces faits puis montre le lien avec la réalité actuelle. Greenberg commence très loin dans le temps par le cheval de Troie. Cet épisode célèbre de l’Antiquité serait le premier acte d’espionnage et d’infiltration. Le lien entre passé et présent est aussi sémantique car le cheval de Troie est une expression pour des virus informatiques très répandus rassemblant 80% des infections. Cependant, Greenberg pousse la réflexion plus loin en reprenant l’origine du mythe pour dénoncer l’apathie des citoyens. Les liens sont donc parfois évidents comme la Légende de Lady Godiva au XIe siècle pour le voyeurisme de la télé-réalité. La Bible autorise-t-elle l’espionnage car des passages soulignent que dieu connaît tout ? Mais d’autres extraits dénoncent la curiosité des hommes. Par la suite, les références de départ seront des grands penseurs occidentaux comme le philosophe anglais Jeremy Bentham dont le panoptique a inspiré l’idée d’une surveillance permanente de tous. Seule la technologie a changé car on passe de la tour de guet à la vidéosurveillance.
États-Unis vs le monde
La Machine ne ferme jamais les yeux expose un danger mondial pour les citoyens mais on découvre aussi des spécificités américaines. La moitié des Américains croit aux anges gardiens. Plus de 200 000 condamnés sont suivis par un bracelet électronique. L’intrusion de l’entreprise dans la vie privée est aussi bien plus poussée. Greenberg nous conte l’histoire des services secrets américains et comment la lutte contre le communisme puis les pacifistes a créé une législation liberticide. Il explique aussi comment on passe au XXIe siècle de la peur rouge à la peur verte.
La Machine ne ferme jamais les yeux est un avertissement, le signal d’alarme pour changer nos comportements. Si le scénario ne fait pas l’impasse sur 1984, Hoover et le Maccarthysme le livre va bien plus loin et suit l’histoire de la surveillance des citoyens jusqu’à nos jours. Mais, Attention ! Ce livre rend parano.
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