La première publication de Private Eye remonte à 2013 quand ses deux auteurs, le scénariste Brian K. Vaughan et le dessinateur Marcos Martin, décident de créer une bande dessinée en ligne où les lecteurs pouvaient librement télécharger les chapitres en contre partie du montant de leurs choix. Puni jusqu’à présent de version papier par ce format de publication audacieux, Private Eye arrive finalement en librairie le 6 octobre prochain, publié par Urban Comics dans la collection Urban Strips !
Le Cloud a implosé, et avec lui tous les secrets les plus précieux de l’humanité, des trafics les plus illicites aux photos de voyage du citoyen lambda, se sont retrouvés à la portée de tous. Désormais, nous évoluons masqués, seul moyen de protéger ce qu’il reste de notre intimité. Bienvenue dans une société post-Internet.
Private Eye: Big brother is watching you
Initialement prévu pour être lu en numérique, la première chose qui frappe avec The Private Eye c’est son format de publication particulièrement adapté à l’écran d’une tablette ou d’un écran 16/9. Loin du format habituelle d’une bande dessinée américaine, les dessins du dessinateur espagnol Marcos Martin s’étalent ainsi sur de grandes pages au format paysage, permettant au passage de belles fantaisies au niveau du découpage des cases, mais surtout de réaliser des pleines pages tout en finesse (là où un format classique aurai subi une « cassure » pour faire une double-page). Cette publication si particulière se transpose ainsi en librairie par un écrin dans un format bande dessinée à l’italienne, complètement adapté à la particularité de cette histoire. Ce qui nous donne un bel ouvrage d’environ 300 pages, avec les 10 chapitres composant l’histoire et accompagné d’une multitude de bonus passant autant des dessins préparatoires de Marcos Martin, que d’échange de mails entre les deux auteurs retraçant la genèse du projet avec leurs espoirs et leurs galères. Des bonus qui sont d’ailleurs raccords avec les propos de l’histoire de Private Eye et la fuite des données personnelles. Si l’édition est basée sur celle de l’éditeur Image Comics sortie outre-atlantique l’année dernière, Urban Comics nous propose comme toujours une très belle version en France.
Du côté du scénario, Brian K. Vaughan est fidèle à lui-même en nous livrant une histoire à mi-chemin entre le divertissement et l’interrogation sociétale. Ce passant dans un futur dystopique provoqué par la perte des libertés individuelles à la suite d’un crash du Cloud, Private Eye, est l’occasion pour l’auteur de faire réagir sur notre propre utilisation d’internet et des dangers potentiels qui en sont liées. Dans notre cas ici présent, celle de la fuite de nos données personnelles, pouvant être vues par tous, mais également notre addiction moderne au numérique. Traité avec intelligence, Brian K. Vaughan ne tombe jamais dans le sermon facile, mais fait largement entendre sa voix par ses différents personnages. Des personnages sarcastiques qui naviguent facilement entre sérieux et second degré au milieu du cynisme de ce nouveau monde tout en étant fortement bourrée de références à notre présent. Malheureusement, certains point caractérisant l’univers reste en suspens. Par exemple, comment la presse est-elle devenue l’entité faisant respecter la loi ? L’univers est tellement alléchant, que l’on aimerait en savoir plus au-delà de la prise de conscience évidente servant d’enrobage au récit. Au milieu de tout cela, le scénariste nous livre une histoire empruntant largement au roman noir. Notre personnage principal, PI (pour paparazzi) est chargé d’effectuer une vérification des antécédents sur une jeune femme avant d’être lentement impliqué dans un complot bien plus gros. Sans être révolutionnaire, l’histoire est menée avec efficacité du début à la fin, mais permet surtout de mettre en avant l’univers et les trouvailles visuels du dessinateur et de la coloriste Muntsa Vicente.
Si en tant que thriller Private Eye est un récit noir plutôt classique, Brian K. Vaughan et Marcos Martin ont réalisé un travail formidable dans la construction de leurs univers dystopique. Une belle histoire dans un bel ouvrage, pour une bande dessinée coup de cœur de la rédaction de Just Focus !