Ne vous êtes-vous jamais posé la question de tout abandonner pour changer de vie ? Le duo Brubaker – Sean Phillips vous offre le guide avec Night Fever et ce n’est pas sans risque.
Voyager pour changer de vie
Night Fever séduit d’abord par la magnifique couverture : en dehors des arabesques et du titre en blanc, tout semble noir, mais, en se rapprochant, on voit le corps d’un homme (mis en valeur par un vernis brillant) qui vient vers nous en tenant un couteau à la main. Cet aspect immersif se prolonge par l’introduction en caméra subjective : de nuit, dans les rues d’une métropole européenne, un homme rentre à son hôtel.
On part ensuite dans le passé. Jonathan Webb, vendeur de droit dans l’édition, lit dans un jet privé en direction de l’Europe. Éditeur blasé, il est subjugué par Alors, le feu, le manuscrit de Denn Pickett. L’auteur décrit un rêve identique à celui que Jonathan Webb faisait jusqu’à son mariage.
Le changement du cadre géographique pousse Jonathan Webb à faire le bilan de sa vie. Il travaille dans un milieu intellectuel en assurant une tâche financière. Jonathan vend des droits de livres à l’étranger. Hélas, il n’a plus d’intérêt pour l’art. Il est aussi détaché de sa famille, ne sachant ce que ses enfants ressentent. Sa réussite professionnelle et personnelle est une façade masquant sa volonté ratée de devenir auteur.
Night Fever et l’identité
Découvrant une fête clandestine, Jonathan Webb prend une autre identité. Il profite d’être à l’étranger pour expérimenter. Il est d’abord spectateur du plaisir des autres (comme il l’a toujours fait), puis Jonathan décide de jouer à la fois au poker et au jeu d’être un autre. Il gagne et sort heureux mais une voiture le renverse. Un nouvel acteur, Rainer, le sauve et lui propose de se venger. Rainer est son opposé. Charismatique, il vit dans le présent. Il agit et avec violence. Cette rencontre révèle à Jonathan que sa passion a été étouffée par le quotidien. En suivant Rainer, Jonathan revit l’adrénaline née de la transgression de son adolescence tumultueuse. Il se retrouve dans des situations de plus en plus dramatiques. Night Fever est aussi un récit psychanalytique imaginant ce qui se passerait si le surmoi décidait. L’homme rangé dépasse les limites au point d’oublier ce qu’il fait. Cette volonté de se lâcher vient de son père qui a regretté sur son lit de mort d’avoir raté sa vie.
Night Fever est construit comme un conte. Le titre indique doublement un moment hors du banal. La nuit est un moment de transgression et la fièvre pousse à faire des actes irréfléchis. Jonathan Webb vit une crise personnelle qui débute en lisant un roman. Sous l’effet d’un état second né de la fatigue, Jonathan Webb agit alors de manière extraordinaire. En suivant un couple masqué dans des caves voûtées sans fin, Jonathan découvre un groupe secret où l’élite libère ses pulsions d’alcool, de jeu, de violence et de sexe. Dans ce lieu, un homme banal bascule dans le fantastique. Les mots prennent un sens symbolique. Arrivé au bout d’un cycle, Jonathan Webb loge dans l’hôtel terminus. Le titre Alors, le feu indique une volonté de changer de vie.
Rien de ce qui précède n’aurait cette force sans les images de Sean Phillips. En effet, Night Fever est un récit historique lui permettant de dessiner différentes périodes. En Europe, on voit des architectures urbaines du XIXe siècle et l’action se déroule dans des caves du moyen âge alors que le reste se déroule dans les années 70. Ce nouveau projet semble stimuler le dessinateur.
Avec Night Fever, le lecteur pénètre le milieu de l’édition, mais surtout dans un conte fantastique. On suit froidement l’évolution d’un personnage jusqu’à sa conclusion. C’est glaçant.
Retrouver sur le site d’autres titres de ce duo avec Pulp et Fondu au noir.