Les récentes critiques de JustFocus portaient sur des livres d’action mais la bd est aussi un formidable moyen d’expression intime. Moi en double, récemment sorti chez Delcourt, en est-il la preuve ?
Grossophobie
Moi en double est la nouvelle bd de Navie, la scénariste de Collaboration horizontale. Ce récit est la première bd de la dessinatrice, Audrey Lainé. L’ouverture de ce livre est marquante : sur le bord d’une piscine en été, son fils se rapproche dangereusement d’une piscine. Elle le voit mais à cause de son poids elle craint de ne pas arriver à temps pour l’empêcher de tomber dans le bassin. Ce moment est déterminant pour Navie car on suivra son combat pour lutter contre le surpoids. Devant les autres, Navie masque sa douleur par de la joie de vivre. Par différents chapitres thématiques, l’auteur se dévoile progressivement et expose ses douleurs. Navie subit depuis des années le cycle des régimes et nutritionnistes sans obtenir un véritable résultat. On l’insulte dans la rue – « parce je suis grosse on ne pourrait pas dire non ». Elle pose les bonnes questions – doit-on dire à quelqu’un qui a grossi ou ne rien dire par lâcheté ? Comment dessiner la douleur ? Le texte cherchant à transmettre l’universalité de la lutte en est parfois naïf – « La vie est une forêt dense qui fait parfois selon ce que l’on traverse »
Récit d’un combat pour être en accord avec elle-même
Le lecteur trouvera peu d’humour mais la scénariste expose sans fard le tragique de sa vie – une enfance sous un régime permanent par une mère phobique du poids et une dépression à 18 ans. Malade, Navie se diagnostique une hyperphagie. Cette addiction légale a, selon elle, pour but est de se perdre dans la satisfaction que procure le produit. On ressent sa frustration de ne pas arriver à se connecter à son corps. Les douleurs consécutives à une opération l’ont poussé à écrire cette bd.
Elle et elle-même
Une nutritionniste lui dit qu’elle porte le poids d’une autre personne et donc elle s’imagine un double en elle. Ce double la rassure ou la pousse à manger selon les situations. Pour raconter ces souffrances intimes, Audrey Lainé a recours à un dessin au crayon en noir et blanc sauf des touches de rouge dont le double. Le dessin semble inachevé comme la recherche de l’auteur et brute comme les souffrances. Lainé multiplie les effets avec des mises en page variées de la grille à la pleine-page.
Tout au long de la lecture, j’ai été surpris par le ton très sombre. Ce récit très centré sur la scénariste réussit à devenir universel. Il nous transmet la difficulté de vivre : « Le poids en trop concerne tout le monde qu’il soit sur le ventre ou dans le cœur ». Cependant, en voulant faire partager cette situation, Navie en devient parfois moralisatrice et très alarmiste. On sent d’ailleurs que la scénariste à encore beaucoup à dire comme le montre une page sur sa vie intime – le couple libre, la pression sur l’éducation…