Alors que les préoccupations écologiques prennent une actualité forte, le premier volume des Affamés du crépuscule sorti chez Delcourt prouve que l’univers du Seigneurs des anneaux est aussi concerné par l’apocalypse. Heureusement deux couples tentent d’éviter la fin de la civilisation.
Une fantasy apocalyptique
Sur une terre en voie d’extinction, seuls les humains et les Orcs ont survécu. Ces peuples en lutte territoriale et politique doivent s’allier devant une nouvelle menace, les Vangol. Les premières pages montrent la complexité de cette situation. Dans un cadre bucolique, deux enfants récoltent des pommes quand ils sont terrifiés par des Orcs. Ces créatures se réjouissent d’être les bad boys des contes mais, en trois coups d’un épéiste invisible, ils sont massacrés puis ce seront tous les villageois. Une ambiance pesante s’installe dans Les affamés du crépuscule et ne me quittera plus jusqu’à la dernière page grâce au talent du dessinateur.
Chris Wildgoose transmet avec finesse les émotions sur les visages alors que les multiples peuples supposent une grande diversité d’expressions. Dans les combats, le dessinateur n’hésite à faire couler le sang. Ces scènes gores rappellent le manga car la mise en page se transforme par des cases presque triangulaires, l’arrière-plan disparaît et les corps sortent de la bordure. En bonus, on voit les essais sur les personnages, avec pour une fois, les notes traduites du dessinateur.
Si le dessin des Affamés du crépuscule séduit autant c’est également par le talent de Wildgoose à rendre crédible ce monde d’heroic fantasy, fait que je retrouve dans le scénario. Des mots étranges sont utilisés et Willow Wilson invente une nouvelle langue. Le choix des mots est très malin car on la comprend phonétiquement. La magie est présente mais positive et protectrice : elle soigne et crée un lien entre les êtres.
Une fragile alliance
Willow Wilson reproduit dans Les affamés du crépuscule l’opposition territoriale entre un centre, le lieu de la civilisation, et des confins menaçants car mal-contrôlés et peuplées de minorités. Des peuples bien connus sont en opposition. Les Orcs, éleveurs nomades au sang noir, n’arrivent pas à cohabiter avec les fermiers humains.
Cependant, la scénariste dépasse cette division raciale en modernisant la représentation : un enfant noir joue avec son ami blanc. La civilisation est du côté des non-humains. En effet, les sociétés humaines se sont effondrées, il n’y a plus de hiérarchie ou de dieux. Cependant des pratiques diffèrent selon les régions : le clergé inquiète les humains alors que le sorcier orc – inspiré des peuples premiers américains – est respecté. Pourtant, les personnages ne cessent de parler des stéréotypes culturels entre les deux races mais aussi à l’intérieur.
Le scénario dans Les affamés du crépuscule réussit à inquiéter par une menace invisible, « ceux qui sont partis ». Ils paraissent surpuissants puisque trois suffisent à ravager un village. On ne peut penser qu’aux Marcheurs blancs de Game of Thrones. Ils illustrent le déclin de la civilisation. Les terres sont moins fertiles. Les paysages sont désolés. Les ruines des peuples disparus sont nombreuses. La famine se répandant, les routes sont dangereuses surtout à la nuit tombée. La guerre devient constante par l’arrivée des Vangols.
Cependant, Willow Wilson n’héroïse pas ce conflit mais montre ses funestes effets par les morts et les blessés. Contrairement à des récits de fantasy, des combattants fatigués cherchent la paix. On voit quelques débats mais l’alliance des deux peuples est scellée par des liens humains. Le seigneur orc, Troth Givrork, envoie sa cousine, Tara Gruakhtar Givrork, combattre avec la troupe humaine des Rémanents dirigée par Callum Guerrenay.
De leur cohabitation dépend la survie de l’alliance. Fils bâtard d’un fermier, Callum Guerrenay est formé très jeune à la guerre. Au contraire, Tara est une guérisseuse noble devenue une diplomate. Cependant, les deux ont un sentiment d’exclusion. La situation est d’autant plus fragile que Troth et Tara sont amoureux depuis l’enfance. En parallèle, on suit Troth lors « sa chasse de noce » avec Faran Peyréchine, son épouse imposée pour une alliance entre tribus.
Dans ce premier volume des Affamés du crépuscule, le dessinateur Chris Wildgoose éblouit d’autant plus qu’il sait choisir ses scénaristes. Après Si Spurrier, il est associé à Gwendolyn Willow Wilson qui propose un angoissant récit sur la fragilité de la paix face à un danger proche. La situation extérieure est dramatique mais l’équilibre intérieur n’est pas plus simple. L’épisode cinq annonce d’ailleurs une menace plus grande mais encore mal définie.
Cherchez les elfes et les dragons dans d’autres récits d’heroic fantaisy avec Arrowsmith et Hurlevent.