Le 10ème volume des futurs Liu Cixin, L’Ère des Anges, revient sur la terre ferme après les migrations stellaires du volume premier ou l’exploration des profondeurs dans La Terre transpercée. Choisissant un ton beaucoup plus réaliste autour d’une intrigue géopolitique, le scénariste Sylvain Runberg assisté du dessinateur Ma Yi nous invite à découvrir les origines de la dernière évolution de l’espèce humaine.
Anges, le commencement
Le docteur Ita est né dans la Xambie, un pays d’Afrique ravagé par la guerre civile. Il a assisté au meurtre de ses parents et à la mort, dans ses bras, de sa petite sœur Yara, affamée. Réchappant au cauchemar, il devient un brillant généticien engagé par la plus grande firme de bio-technologie au monde. Installé désormais dans la Silicon Valley, il est comblé de tous les honneurs dont le prestigieux prix Nobel.
Mais la famine continue de ravager son pays et quand la guerre civile éclate à nouveau, il abandonne son confort pour aider les siens. Réfugié dans une zone secrète et inaccessible, il consacre son temps et sa fortune à son grand projet censé mettre fin à la misère et à protéger les siens. Mais quand il le révèle à la communauté internationale, le rejet est immédiat et une force de coalition est dépêchée aux larges de la Xambie pour le forcer à mettre fin à ses travaux et à livrer ses recherches.
L’Ère des Anges : une relecture de l’île du Docteur Moreau
Cet album convoque tout un imaginaire science-fictionnel tournant autour de la figure du savant « génial-fou ». L’une des références les plus évidentes évoque le roman de Wells, L’Île du docteur Moreau. Beaucoup d’éléments relient ces deux histoires : le scientifique visionnaire, les travaux secrets, la manipulation de la vie. Ita, généticien, rêve d’une humanité améliorée qui dépasserait, par ses nouveaux acquis, ses peurs ancestrales.
La différence majeure apportée par cette Ere des Anges concerne la psychologie de son héros. Celui-ci ne cherche pas à imposer à ses « anges » un rapport hiérarchique. Ses cobayes sont tous volontaires et ont leur propre libre arbitre, leur autonomie. C’est d’ailleurs tout le sens de la fin de cet album. Ita a ouvert la porte vers un autre futur. A charge pour les hommes d’en écrire l’histoire.
Un thriller géo-politique
Le récit s’inscrit dans la lignée des albums précédents tels Brouillage intégral ou L’Attraction de la foudre. Ici, il prend place dans une Afrique qui est retombée dans les affres des années 1990. Les guerres civiles, les enfants soldats, les massacres, sont redevenus quotidiens. La Xambie, Etat fictif, est une claire évocation de la R.D.C, État immense, riche en minerais et déchiré dans sa partie orientale par une instabilité permanente.
Le scénario s’appuie d’ailleurs sur des éléments réels. Par exemple la présence de minerais en Afrique (en R.D.C) nourrit l’appétit de groupes rebelles et d’entreprises étrangères. Celles-ci achètent ces « minerais de sang finançant indirectement la violence et la guerre. Cet album va plus loin en ajoutant une nouvelle source de tensions : la bio-technologie et la féroce compétition pour en posséder les applications. Celle-ci justifie l’interventionnisme des forces étrangères travestissant leur motivation derrière le respect de la déontologie médicale.
L’Ère des Ange : les mutants rencontrent Le Tombeau des Lucioles
La force de cette histoire tient à sa dimension super-héroïque habilement sous entendue. En effet, ce volume peut se lire comme une origin story : comment est né l’homme amélioré. Plusieurs moments reprennent des scènes typiques de la série X Men : l’intolérance, la peur des hommes normaux, l’identité cachée, l’impossible dialogue, l’inévitable affrontement. La fin d’ailleurs offre deux interprétations : est-ce la vision de l’avenir ou les promesses d’un nouvel avenir ?
La comparaison avec les X Men va encore plus loin quand on regarde le parcours du docteur Ita. Il fusionne en effet deux personnages fictifs : Seita, le Héros malheureux du tombeau des lucioles et Magneto des X Men. Comme le premier, il a été marqué, à vie, par le décès dans ses bras de sa petite sœur (magnifiquement mise en image). Comme le second, il conserve la méfiance vis-à-vis du genre humain et cultive la volonté de ne plus jamais être une victime. Son évolution, son itinéraire servent magnifiquement un récit profond, intelligent et riche d’espoir. Il est un Magneto qui n’aurait pas perdu foi dans l’être humain.
L’Ère des Anges a tous les atouts pour plaire à un large public. Proposant plusieurs niveaux de lecture, servi par un dessin somptueux, c’est une parfaite entrée dans l’univers décidément très divers de Liu Cixin. Vous pouvez retrouver sur notre site les critiques des autres titres et l’intégralité de la collection sur le site de la maison d’édition Delcourt