critique de la BD Nourrir l’humanité : l’argent fait-il le bonheur ?

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nourrir l'humanité Liu Cixin

Les éditions Delcourt poursuivent l’exploration de l’œuvre de l’auteur chinois de science fiction Liu Cixin. Dans Nourrir l’humanité, nous quittons l’antiquité fantasmée de La Perfection du cercle pour nous immerger dans un récit politique, social, férocement engagé et terriblement intelligent.

13 assassins

Hua Tang a grandi dans la violence d’une grande métropole. Après la mort de sa mère, il entre dans le monde de la mafia pour survivre et exercer son talent d’homme de main. Au fil des entraînements et des missions réussies, il devient un tuer à gage redouté, indépendant. Il n’a jamais failli. C’est pourquoi il est très surpris quand 13 des plus riches personnes du monde l’engagent pour tuer trois individus très pauvres.

En parallèle, une situation planétaire urgente ne cesse d’inquiéter les puissants. Une race d’extra-terrestre survole depuis plusieurs années la terre annonçant un bouleversement à venir. Seule une poignée de personnes est au courant de ce qui va arriver. Or, Hua Tang va progressivement découvrir que son étrange mission est liée à ce futur changement, potentiellement destructeur.

nourrir l'humanité Liu Cixin

Nourrir l’humanité : un scénario brillant

Sylvain Runberg réussit un véritable tour de force. Il tire tout le potentiel de cette nouvelle pour en faire une œuvre captivante. Il lie en effet trois intrigues dans un récit dense qui maintient intact tous ses enjeux. D’un côte le lecteur se retrouve dans une ambiance proche de Slumdog Millionnaire où il va découvrir, au gré des flashbacks l’itinéraire d’un enfant devenu tueur implacable. Hua Tang est un loup mais qui n’a pas perdu totalement son âme.

D’autre part, le récit nous fait suivre un des plus étranges contrats proposés à cet ange de la mort. Trois laissés pour compte, des anonymes ou presque, sans réseaux, sans argent. Pourquoi les tuer ? Plaisir pervers ? Que cachent ces vies en apparence inutiles. C’est cette quête qui fait intervenir la présence extra-terrestre, troisième sous-intrigue. Leurs actes sont étranges, pacifiques en apparence. Mais peut-on se fier à ces voyageurs ?

nourrir l'humanité Liu Cixin

Une satire social de notre monde

Liu Cixin a construit un conte très politique, très engagé. Il dresse d’abord un tableau brillant du capitalisme dans sa version la plus débridée. Quel avenir pour une humanité si tout devient marchandise ? Mais son récit est plus fin car il s’attaque aussi à l’illusion égalitaire. Le remède ne serait-il pas pire que le mal qu’il prétend soigner ? Il emprunte la voie du conte, de la fable presque, pour nous faire ressentir le danger des idéologies.

Nourrir l’humanité décrit aussi un futur angoissant qui n’est pas éloigné de notre monde. On pourrait rajouter un sous-titre à ce volume : l’enfer est pavé de bonnes intentions. En effet le transhumanisme, les bulles spéculatives, le revenu universel, le nivellement par le bas, la tyrannie de l’utilitarisme sont brocardés. Avec beaucoup de pessimisme, le monde de Hua Tang est perverti par l’argent roi. Nulle conviction, nul engagement ne semblent lui résister.

nourrir l'humanité Liu Cixin

Nourrir l’humanité : la fable du petit oiseau

Dans le western Mon nom est personne, Terrence Hill raconte l’histoire du petit oiseau dont on peut résumer la morale : « ceux qui te plongent dans la m…. ne le font pas toujours pour ton malheur et ceux qui t’en sortent ne le font pas toujours pour ton bonheur ». Cet adage traverse toute une partie du récit. Les gangs, les commanditaires, les extra-terrestres, aucun ne semble animé de bonnes intentions même s’ils prétendent le contraire. La vie consiste alors de sauter de « bienfaiteurs » en « bienfaiteurs ».

Face à cette apparente impasse, Hua Tang, trouve comme le personnage de Jack Beauregard une alternative que nous ne vous révélerons pas pour préserver le suspense. Cela permet à ce Nourrir l’humanité de s’achever sur une fin étonnante, provocatrice et finalement optimiste. Tout l’album prend alors un sens inattendu et tranche avec les précédents, par exemple Brouillage intégral, à la conclusion beaucoup plus sombre.

Ce quatrième opus des futurs de Liu Cixin se place d’emblée parmi les tout meilleurs. Servi par un dessin magnifique, Nourrir l’humanité se lit comme une profonde réflexion sur la société et sur l’avenir de l’Homme. Vous pouvez retrouver l’intégralité des titres de la série sur le site de la maison d’édition Delcourt.