Pour ce 8ème volume des futurs de Liu Cixin, les éditions Delcourt nous emmènent dans un futur proche où la troisième guerre mondiale est en passe d’être déclenchée entre l’O.T.A.N et la Russie. Avec à la baguette le duo Marka Stojanovic et Maza, Brouillage intégral se présente comme un récit d’action très efficace, une uchronie intéressante mais incomplète.
C’est fois-ci, c’est la bonne
Sur le front de Smolensk, l’armée russe est en passe de perdre la guerre. Face aux armées ultra-modernes de l’O.T.A.N venues en aide aux droitistes, un parti sécessionniste à l’Est de la Russie, elle essuie défaite sur défaite. La route de Moscou est ouverte et rien en semble pouvoir empêcher le déferlement des troupes de l’O.T.A.N.
Dans une stratégie da la dernière chance, le général Levchenko décide de brouiller les communications de l’O.T.A.N. Mais pour les perturber durablement et rétablir l’équilibre des forces, il doit se tourner vers son fils, Micha, en mission autour de Mercure dans la station russe Vechnny Buran. Celui-ci lui propose d’utiliser cette station pour provoquer une tempête solaire colossale au risque d’y laisser lui-même la vie.
Brouillage intégral : un côté Tom Clancy
Ce nouvel opus de la série les futurs de Liu Cixin nous projette dans une guerre très moderne. L’ère des machines est en marche et le soldat humain doit composer avec les dernières avancées de la technologie : drones, brouillage des télécommunications. Dans un récit qui résonne avec l’actualité moderne, nous suivons un conflit titanesque où la masse est contrebalancée par l’hyper technicité. Ainsi les armées mécaniques se retrouvent impuissantes face à la force des logiciels.
Et dans ce récit futuriste, les auteurs adoptent un point de vue très réaliste. Malgré le courage de ses hommes et la masse de ses équipements, la Russie est dépassée. Les forces de l’O.T.A.N, en effet, balayent tout. L’histoire renvoie ainsi une image très juste de l’armée russe. Un colosse aux pieds d’argile qui finalement ne peut s’appuyer que sur la force du nombre. Une hypothèse que l’actualité ne cesse de confirmer. Cela donne un cortège de scènes d’action réussies sur la route menant à Moscou.
Une histoire familiale, une histoire de la Russie
Cet album propose deux histoires en une, deux niveaux de lecture qui renforcent la portée des combats qui nous sont racontés. Il s’agit d’abord d’un récit familial centré sur les notions de mémoire, d’héritage et de devoir. Brouillage intégral présente deux générations de russes. Celle qui a vécu la chute du communisme et celle qui a grandi après. Malgré les 20 ans qui les séparent, ces générations partagent encore des valeurs communes. Mais est-ce par conviction, par piété filiale ou par fatalisme ? Les derniers mots du héros laissent planer le doute.
En arrière-plan, les auteurs nous brossent un tableau des 30 dernières années de la Russie. L’histoire se lit comme une mise en abîme où le lecteur découvre que les cendres de la guerre froide sont encore chaudes. La nostalgie fonctionne à plein dans l’esprit de nombreux russes qui se rappellent les affres des années Eltsine. De même, l’uchronie permet aux auteurs de rappeler plusieurs traumatismes qui hantent toujours l’âme russe : le spectre de la guerre civile des années 1920, la peur du coup d’état à l’image de celui avorté de 1991.
Brouillage intégral, un récit politique inégal
Il reste un point sur lequel cette bande dessinée peut décevoir : la dimension géopolitique. Cela tient certainement à l’œuvre originale, écrite par un Chinois qui porte donc un regard critique sur l’Occident. S’il est intéressant de prendre le point de vue de la Russie, il est dommageable de la présenter en victime d’une invasion de l’O.T.A.N. En effet, la justification de cette intervention est très légère et pour qui connaît les statuts de l’O.T.A.N, presque absurde. Jamais l’O.T.A.N n’interviendrait pour soutenir un coup d’état nationaliste en Russie.
Cette faiblesse du scénario est d’autant plus dommageable que le récit entreprend d’analyser les divisions internes de l’O.T.A.N en soulignant par exemple la place à part de la France. Cela constitue, en théorie, un excellent retournement de situation. Mais la transposition maladroite, en Russie, d’un conflit digne de la guerre de Corée de 1950 rend ces enjeux très ténus. Si les combats sont prenants, on demeure toujours circonspect sur les buts réels de cette guerre.
Brouillage intégral nous offre donc un très beau récit d’action. Il est dommage que la dimension géopolitique, uchronique, ne soit pas à la hauteur de ces dessins.
Retrouvez ici la chronique du 5 ème volume de la série des futurs de Liu Cixin