Parfois, rien n’est plus réconfortant qu’un bon repas arrosé d’une bonne bouteille de vin. Ulysse et Cyrano est une bd qui illustre toute la convivialité de la « bonne bouffe », de la gastronomie, de la cuisine tout en étant délicatement relevé par une histoire humaine à la fois simple et belle, un récit d’apprentissage dans lequel la vérité se situe dans le plaisir.
Une rencontre décisive autour d’une bonne terrine ? Voici la nouvelle bande dessinée de Xavier Dorison et de Stéphane Servain, sans conteste l’une des bd les plus agréables de l’année.
Ulysse et Cyrano conte l’histoire d’une rencontre entre deux personnages très différents : Ulysse, un jeune héritier de l’une des plus grosses fortunes de France et d’Europe et Cyrano, un ancien chef étoilé qui a décidé de s’isoler après avoir mis le feu à son restaurant. L’intrigue se déroule quinze ans après la Deuxième Guerre Mondiale et les ombres de ce passé tragique viennent frapper à la porte de la famille d’Ulysse. En effet, son père Charles Ducerf est suspecté d’avoir travaillé avec les allemands pendant la guerre. Le patriarche décide alors d’envoyé son fils et sa femme en Bourgogne dans une petite maison de campagne, le temps que l’affaire se tasse.
C’est au cœur de ce lieu paisible qu’Ulysse fera accidentellement la rencontre de Cyrano, un épicurien un peu ronchon qui l’initiera aux plaisirs de la cuisine et du bon-manger. Une rencontre fatidique qui viendra bouleverser d’un côté un avenir et de l’autre panser les plaies du passé.
Le début de l’apprentissage et de l’émancipation derrière les fourneaux peut commencer.
Autour de la table
Au scénario, nous retrouvons le prolifique Xavier Dorison, auteur reconnu pour bon nombre de séries comme Long John Silver ou Undertaker pour n’en citer que quelques-unes… Ce remarquable scénariste a également signé des one-shots bien trempés tel que Le Maitre d’Arme, un thriller médiévale symbolique et furieux. Dans l’ensemble, l’œuvre de Xavier Dorison est davantage portée sur les bd de genre (piraterie, western…) ce qui n’est pas le cas ici avec Ulysse et Cyrano dont il co-écrit le scénario avec Antoine Cristau, romancier et passionné de gastronomie.
Tout au long de ce remarquable album, l’intrigue est guidée par cette belle complicité entre un adolescent prisonnier de son statut d’héritier et ce chef étoilé déchu. Bd picaresque, l’histoire bouscule ici les conventions sociales à travers l’amour de la gastronomie. Xavier Dorison et Antoine Cristau mettent en valeur des personnages attachants construits avec justesse et simplicité sans forcir le trait.
Ainsi, nous ne manquerons pas de nous attacher au parcours du jeune Ulysse qui, comme l’emblématique héros de la mythologie grecque, est également envoyé en exil mais en Bourgogne. Cet exil forcé sera pour lui une découverte et un émerveillement loin de la voie toute tracée voulue par son père.
La nature est au cœur de cette bd avec un parfum de vielle France qui séduit aisément. Et c’est au milieu de cette environnement pastoral que le lecteur fera la rencontre du bougon Cyrano. Un autre nom du florilège littéraire qui résumé bien ce personnage épicurien et bon vivant qui , s’il n’a pas le nez aussi long que son homonyme peut se targuer d’avoir du flair, un flair idéal « pour les truffes, le bon pinard et les femmes ». Bonhomme un peu rude, Cyrano est aussi un être rongé par son passé, lui a qui décidé de mettre radicalement fin à son restaurant suite à un violent coup de déception.
Autour de ce duo gravite une galerie de personnages attendrissants tel une troupe de théâtre haute en couleur telle que la mère faussement fragile d’Ulysse, son père stricte et figé dans sa posture de grand patron, la belle et intelligente Marie ou encore les joyeux compères de Cyrano.
Sur cette finesse d’écriture, Xavier Dorison captive toujours son lectorat par la narration. C’est un récit tout en émotion qui jongle entre les repas apaisés, l’humour et des passages forts, surtout reflétés à travers la relation père/fils qui donne un certain poids dramatique à cette œuvre. Ulysse et Cyrano propose des passages délectables pour une bd feel good qui ne se noie pas non plus dans une franche naïveté avec de vrais moments de tension.
Une table bien dressée
Cette bd donne du baume au cœur mais elle donne aussi et surtout l’eau à la bouche. Il n’est pas prudent de lire ce titre à jeun… L’envie irrépressible de manger un poulet aux écrevisses ou une terrine de lapin risque de vous titiller l’estomac après la lecture. Fort heureusement, les auteurs ont ajouté quelques recettes en fin de volume afin de ne pas vous laisser affamés sur le bord de la route. Mais ce qui rend cette bd aussi alléchante, c’est avant tout grâce au style de Stéphane Servain ( L’Histoire de Siloë , L’esprit de Warren) qui, à l’instar de Xavier Dorison, va aussi s’éloigner de ces affinités avec la bd de genre.
Porté par un style expressif tout en justesse, le dessinateur donne beaucoup de relief à ces personnages dont les émotions sont parfaitement dépeintes dans un cadre qui sera tour à tour bucolique ou oppressant. Le dessinateur révèle la toute la profondeur de son talent que ce soit à travers de belles et vastes cases sur une nature pastorale enivrante jusqu’à la minutie des plats préparés qui vous feront immédiatement saliver. Stéphane Servain ajoute sans doute une corde à son arc avec cette mise en valeur remarquable de la cuisine, que ce soit la bonne et satisfaisante cuisine traditionnelle digne d’une ferme-auberge ou la gastronomie raffiné toujours en quête de création.
Notons aussi l’importance de la colorisation qui enchante tout simplement le regard et renforce l’attractivité d’une sieste au bord d’un ruisseau, des moments de complicités dans la cuisine ensoleillée de Cyrano mais qui peut aussi aiguiser la froideur de certains passages comme ceux concernant Ulysse et son père. Ainsi, Stéphane Servain ne perd jamais l’état d’esprit de ses personnages lorsqu’il dessine et colorie ce qui permet au lecteur de s’immerger totalement dans cette aventure aussi bien culinaire qu’humaine.
In voluptate veritas : la vérité dans le plaisir
In voluptate veritas , une phrase très épicurienne issue de la bouche de Cyrano et qui anime la plupart des planches ce bel album. Une expression que nous pourrions également rattaché au plaisir de lecture ressenti pour ce titre qui est , osons-le dire, l’une des meilleures bd de cette année 2024. Les éditions Casterman ont publié un titre fort, positif. L’éditeur a d’ailleurs mis les petits plats dans les grands avec un bel objet-livre édité aux petites oignons qui affiche une première de couverture reposante et symbolique.
Qu’est ce qu’au fond le plaisir ? En conclusion , les auteurs y apportent une douce réponse, celui sans doute de pouvoir faire ses propres choix envers et contre tout, que ce soit celui d’Ulysse qui tente de s’émanciper face au destin tout tracé imposé par son père alors que ce dernier n’y est jamais parvenu ou encore Cyrano qui découvre un nouveau monde culinaire à travers une cuisine moins traditionnelle.
Album sur le plaisir, album sur la quête du bonheur, album d’émancipation, d’amour et d’apprentissage, Ulysse et Cyrano réunit tous ses ingrédients dans un album qui fleure bon la douce France culinaire et le plaisir d’un bon plat accompagné d’une bonne bouteille.
Afin de poursuivre ces aventures culinaires en bd, nous vous recommandons la lecture des mangas du regrétté Jiro Taniguchi et de ses alléchants titres que sont Le Gourmet solitaire et Les rêveries d’un gourmet solitaire ou encore l’autobiographique Comme un chef de Benoit Peeter pour ne citer que quelques petites œuvres qui donnent sérieusement envie de mettre la main à la pate.
Ulysse et Cyrano, cette nouvelle bd culinaire concoctée par Xavier Dorison, Stéphane Servain et Anthoine Cristau est un mets tout en finesse, à déguster sans modération, un album qui derrière son éloge particulièrement réussie de la cuisine, délivre un beau message d’émancipation et de passion.
