Après la révolte de mai 1968, des révolutionnaires ont voulu s’engager dans le monde du travail comme le montre cette biographie éditée par La Boîte à Bulles. Fabienne Lauret y raconte sa vie d’ouvrière et de militante féministe révolutionnaire. Pénétrez par cette chronique dans le monde méconnu de l’usine.
Une James bond en bleu de travail…
En lisant la biographie de Fabienne Lauret, Guillaume a été ému par la sincérité de l’autrice, la force des convictions féministes et la fidélité de l’engagement révolutionnaire. Il lui a proposé d’adapter son livre en bd. Contrairement à ses livres précédents sur la finance, il a réduit la part de fiction pour se rapprocher du témoignage.
Dans les premières pages, Fabienne est une retraitée active à Flins qui fait du yoga et parle aux moutons. Oui, vous avez bien lus. C’est en passant devant les moutons servant à entretenir la pelouse de son ancienne usine que l’autrice commence son récit. Ces ruminants étaient pour elle une parabole des ouvriers sans pouvoir, de leur diversité et de leur disparition progressive. Mais comment est-elle entrée dans l’usine ? Sa vie a changé en mai 1968. Cette révolte marque son éveil politique concrétisé par son adhésion aux jeunesses communistes révolutionnaires. Elle choisit de s’établir, c’est-à-dire s’intégrer dans une usine. Elle ne vient pas pour gagner sa vie mais dans le but de faire triompher la révolution du prolétariat.
L’entrée des révolutionnaire dans ces usines est digne d’un roman d’espionnage. Un groupe secret se forme autour de Flins. Des militants très motivés trouvent une base et prennent des risques comme le prouvent des menaces de mort qu’ils reçoivent. Fabienne a un pseudonyme puis se crée un passé d’ouvrière. Elle est une exclue parmi les exclus car elle est une féministe révolutionnaire alors qu’il n’y en a que 10% de femmes dans l’usine. En parallèle, elle devient déléguée à la CFDT et est aussi une militante féministe en dehors de l’usine.
… au sein d’un monde méconnu
Le lecteur d’Une féministe révolutionnaire à l’atelier pénètre dans un autre monde. D’une part, la culture montre peu des ouvriers comme si on ne voulait pas les voir. D’autre part, les médias ne cessent de prophétiser la disparition des ouvriers. D’ailleurs, l’usine de Flins est passé de 21000 à 5000 salariés. L’expérience de Fabienne est une révélation pour le lecteur. On ressent les effets de l’usine sur les corps. L’usure se fait par la répétitions du même geste. L’ouvrier ne doit pas réfléchir mais exécuter les tâches au plus vite. Les immigrés sont la main-d’œuvre parfaite car ils sont moins politisés et peu alphabétisés.
Mais, on peut aussi voir des lutte collective et la résistance individuelle. On comprend comment un conflit social se lance dans un atelier et fait tache d’huile dans d’autres usines. On est effrayé par les réactions violentes de la direction. Le délégué syndical est dans une position d’équilibriste en devant veiller à ne pas être trop détaché de leur réalité. Naturellement, une solidarité existe entre les nouvelles ouvrières et les plus expérimentés. L’infirmerie est une soupape pour fuir les cadences infernales. Cependant l’usine n’est pas unie. L’atelier des presses uniquement masculin est plus dure mais aussi plus engagé que la sellerie.
La dessinatrice Elena Vieillard permet de rendre ce récit politique très intime. Elle est elle-même militante et membres des Vulves assassines, groupe de punk-rap féministe. Son trait est plus symbolique plus que réaliste. Vieillard ne vise pas la précision mais l’émotion par des dessins proches des cartoons ou de la caricature. Elle s’est inspirée d’images d’archives des mouvements ouvriers et des documents personnels de Fabienne mais également de ses souvenirs d’enfance car elle habitait près de Billancourt. Vieillard fait le choix de la bichromie et évidemment du rouge afin de souligner l’émotion de la lutte et des colères.
Une féministe révolutionnaire à l’atelier donne l’impression de voyager dans un autre siècle. C’est collectivement le cas par les relations très hiérarchiques en usine et individuellement par l’engagement féministe révolutionnaire de Fabienne. On voit bien par le très dense dossier documentaire à la fin que Fabienne continue la lutte.
Retrouver sur le site d’autres chroniques de vie avec La France vue par madame Hibou et L’enfant des rivières.