Ah ! Nana, premier magazine bd de femmes

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Depuis le retour de la revue Métal Hurlant, le fan de bd navigue entre passé et présent mais s’intéresse peu au genre. Tout change avec le premier hors-série, Ah ! Nana compilant une trop éphémère revue de femmes autrices de bd.

Ah ! Nana, l’hommage à une révolution

La profession de foi d'Ah ! Nana
La profession de foi d’Ah ! Nana

Premier périodique français de bande dessinée réalisée par des femmes et pour des femmes, Ah ! Nana est publié entre 1976 et 1978. Il est lancé par certaines autrices de Métal Hurlant comme Chantal Monteiller. On retrouve d’autres artistes majeures comme Florence Cestac, Trina Robbins et même la cinéaste Agnès Varda. On croise Olivia Clavel, bdéaste et membre du mythique groupe des graphistes de Bazooka. Pour autant, la revue était très ouverte. Adoptant des pseudonymes féminins, Tardi et Moebius y ont laissé leurs marques. Le lecteur découvre l’histoire de la revue à travers des articles et des interviews des autrices ayant marqué les pages d’Ah ! Nana.

La revue se heurte aux tabous de l’époque et donc à la censure. En effet, si Ah ! Nana n’a duré que neuf numéros, c’est en raison de l’action de l’État mais également des militants communistes réactionnaires. La revue était pourtant soutenue par des magazines féminins à grand tirage. Cependant, les revues de bd passaient encore par un comité sur « les lectures pour la jeunesse ». Un récit sur la transsexualité a valu à la revue une interdiction de vente aux mineurs en 1978 qui a fortement pesé sur les finances. Dans son texte, Blanche Delaporte montre l’histoire complexe de la revue : le difficile positionnement par rapport à Metal, les tensions internes sur la place du sexe. Par l’interview et des nouvelles de l’américaine Trina Robbins, l’histoire de la revue à replace dans le courant de la bd underground.

La sortie d’Ah ! Nana est également l’occasion pour Les Humanoïdes Associés de proposer une table ronde sur la place actuelle des autrices de bd. On y observe les progrès, mais également l’insupportable plafond de verre qui persiste comme l’ont prouvé les scandales au festival d’Angoulême. Des autrices, des illustratrices jettent également un regard contemporain sur cette revue.

Une autre vision sociale

Le conflit de génération dans Ah ! Nana
Le conflit de génération dans Ah ! Nana

Comme l’écrit la rédactrice en chef d’Ah ! Nana, Janic Guillerez, en préambule de ce mook, les autrices se considéraient « comme des femmes libres, qui avaient enfin la liberté de raconter ce qu’elles ressentaient ». Dans l’entretien, Janic explique la revue est née à la fin d’un repas où des auteurs des Humanos se comportaient comme des machos.

Il s’agissait de proposer une vision féministe et donc différente de la production de l’époque bien trop masculine. Si la rédaction d’Ah ! Nana n’est pas encartée dans un parti ou une association, les bd ou les textes reflètent un point de vue alternatif sur le monde. Dans les différentes courtes histoires, on parle sereinement de l’art, de la mode mais également joyeusement de sexualité féminine. Une bande dessinée onirique déconstruit les images inquiétantes sur les premières règles. Inversant les codes, les autrices s’interrogent sur les mystères de l’homme. La sorcière est déjà vue comme un figure de libération féminine. Des thèmes globaux sont traités comme la pollution. Des articles mettaient en avant les artistes féminies du rock : Patti Smith ou Blondie.

Plus dramatiquement, des récits dénoncent l’inceste, la violences faites aux femmes et le nazisme. Le numéro intégrait des contacts vers des centres de femmes battues et vers des cours de self-défense. On voit que le conflit avec la génération précédente de femmes plus conservatrice peut déboucher sur une libération commune. Le magazine veut choquer surtout selon Nicole Claveloux

On voit également l’explosion créative de la revues par les nouvelles en bd et les illustrations des couvertures. Le corps de la femme est célébré dans sa diversité : Cecilia Capuana montre que les rondeurs attirent, y compris hélas la mafia. Très présente, Capuana se moque des représentations des femmes dans la peinture. Plus loin, les anciens lecteurs reconnaîtront une illustratrice pour enfants. Du côté graphique, Ah ! Nana ne compile pas simplement des dessins mais aussi des romans photos dont un résumé de son film par Agnès Varda.

Toujours éditée par Les Humanoïdes Associés, Ah ! Nana est une nécessaire remise à jour de l’histoire de la bd. Les femmes ont toujours été présentes dans le neuvième art mais cette présence a dérangé l’opinion. Ce hors-série est également une leçon de dessins avec de magnifiques pages par des autrices hélas invisibilisée.

Retrouver sur le site des chroniques sur un numéros actuel de Métal et sur la bd de patrimoine.