Depuis ce mercredi 27, je suis bombardée par mes alertes Google à propos du cinéma coréen. D’habitude, j’en reçois une ou deux par jour, mais cette fois-ci, il s’agit du décès de l’acteur Lee Sun-Kyun. Tous les médias en parlent, ils spécifient que c’était l’acteur de Parasite, comme si sa carrière ne se résumait qu’à ce film. Et moi, j’ai l’impression qu’il meurt à nouveau chaque fois que je reçois une de ces nombreuses alertes.
Je suis vraiment très triste pour plusieurs raisons. Je l’ai découvert il y a 15 ans, lors du drama The 1st Shop of Coffee Prince. Même si au début je dois avouer que c’est Gong Yoo qui a attiré toute mon attention, M. Lee Sun-Kyun a su très vite conquérir mon cœur de cinéphile affermie, en quête de nouveautés et blasée d’un cinéma international qui n’arrivait plus à se renouveler. Son sourire, ses yeux pétillants, sa voix, sa façon très classe de marcher, mais surtout son charisme… Impossible de ne pas le remarquer.
Depuis lors, il était devenu cet acteur dont on regarde films et séries, juste parce qu’il y joue. Cet artiste récurrent qui commence tout doucement à faire partie de nos vies, du moins de la mienne. Une compagnie, un support, un repère ? Est-il stupide de pleurer pour quelqu’un que l’on n’a jamais rencontré ? C’est étrange, c’est comme si des morceaux de moi avaient disparu, comme si un pilier s’était effondré emportant toute une partie de moi. Il a laissé des traces immenses mais, ce « plus jamais » me rend très triste.
Presque la même impression que lors du décès du regretté acteur indien Irfan Khan, le compositeur japonais Ryūichi Sakamoto ou le pianiste américain George Winston, partis ces deux derniers au courant de cette tumultueuse année 2023. « Presque », puisqu’à ce départ s’ajoute un sentiment d’injustice, d’impuissance. Cet homme derrière mon écran avait pris un énorme relief dans ma vie, car il représentait ma passion pour le cinéma coréen. Une pensée très naïve, « Vous auriez dû venir m’en parler », s’est installée au-dessus de moi, comme les fusées statiques dans le ciel au-dessus des villes dans les films de science-fiction.
Il a marché il n’y a pas longtemps sur le tapis rouge du festival de Cannes, aux côtés des acteurs Ju Ji-Hoon et Kim Hee-Won. Il avait l’air si heureux ! J’ai été tellement fière d’eux, comme lorsque Teo Yoo a marché sur le tapis rouge de la Berlinale au début de cette année. Envie de le proclamer au monde entier. Envie de hurler « Mais enfin, mettez-vous à la page, les choses se passent maintenant du côté de la Corée du Sud. Le jour où vous ouvrirez cette boîte, vous n’aurez plus envie de faire marche arrière… ».
Coffee Prince, Killing Romance, Parasite, Take Point, Man of Will, A Special Lady, The King’s Case Note, A Hard Day, A Cruel Attendance, R-Point, Diary of a Prosecutor, My Mister, Pasta, entre autres. Il aimait bien se surpasser. Il pouvait être drôle, terrifiant, sérieux, séduisant, loufoque, désinhibé, vulnérable, romantique. Il savait remplir l’écran sans l’étouffer, nous embarquer avec lui dans ses histoires. Il pouvait être magnifique, avec cette touche de classe très propre à lui.
Depuis le suicide de Park Yong-Ha en 2010 et du chanteur Jonghyun du groupe Shinee en 2017, je suis très interloquée par ce terrible phénomène. Je l’étais aussi au sujet du suicide de Maryline Monroe pendant des années. Moi qui rêvais d’être actrice, je ne comprenais pas pourquoi une femme qui avait tout pour elle avait mis fin à ses jours. Finalement, l’histoire s’est avérée toute autre, mais mon questionnement au sujet du suicide est quand même resté. C’est ça le monde artistique ?
Bouddha dit : « Plus grande la face, plus grand le dos ». Ce monde des paillettes, des artistes beaux et pimpants qui nous font rêver. Tout cet univers, très égotique quand même, des acteurs et des chanteurs applaudis par toute la planète. Qui n’a pas rêvé d’être celui ou celle qui défile sur le tapis rouge d’un grand festival ? Mais ce qui se cache derrière semble inimaginable, impossible à croire tant que l’on ne l’a pas vécu. Impossible à vivre pour certains. Ces artistes deviennent des produits qui n’ont absolument pas le droit d’entacher leur image parfaite aux yeux du public. Si jamais ils s’écartent de ce droit chemin imposé par la société, ils se voient critiqués, harcelés par les médias, acculés à tel point, que leur monde s’effondre en une seconde et le suicide semble la seule solution.
Ayant été harcelée pendant trois ans moi-même, cela me rend très triste que de s’ôter la vie ait pu être la seule solution envisageable. Même si j’en ai beaucoup souffert et qu’il m’en reste des séquelles, je ne suis qu’une personne lambda, inconnue de la planète. Mais une personne publique c’est toute une autre chose. Cela a été qualifié de meurtre social. Pourquoi est-ce que son nom a dû être cité ? Pourquoi cette pression médiatique qui l’a directement condamné sans qu’il puisse vraiment se défendre ? Pourquoi toute cette humiliation ? Pourquoi tout cet acharnement ? Ce n’est pas comme s’il avait tué ou violé quelqu’un, ou filmé des viols, comme d’autres. Oui, ceux mêmes qui ont à peine effleuré le sol d’une prison. Cette descente aux enfers lui aura coûté la vie et aura laissée derrière lui une terrible incompréhension.
Je ne peux pas m’empêcher de penser à une pièce dramatique de l’auteur norvégien Henrik Ibsen publiée en 1882, « Un ennemi du peuple ». Cette pièce de théâtre parle d’un docteur qui découvre que les eaux de la station thermale de son village sont contaminées. Il prévient les villageois mais à cause des travaux onéreux nécessaires pour y remédier, ils se liguent contre lui. Il perd tout, sa maison est assiégée. Il est devenu l’ennemi public numéro un. Le docteur finit par déclarer que l’homme le plus fort du monde est aussi celui qui est le plus isolé contre la tyrannie de la majorité.
Et puis, il y a quelque chose que je ne comprends pas et qui me met très en colère. Que ce soit dans les dramas ou dans les films coréens, les personnages éprouvent une fierté incompréhensible vis-à-vis de l’alcool. Le beau gosse principal tombe toujours amoureux de cette jeune femme complètement saoule, une épave qui donnerait plutôt envie de vomir à n’importe qui. Les éventuels beaux-parents font boire leur futur gendre pour constater à quel point il tient l’alcool. Les collègues de travail qui finissent affalés sur leur table lors de leur sortie… et d’un autre côté cette obsession, ces lois tellement strictes contre la consommation des drogues.
Je n’adhère ni à l’un ni à l’autre, mais de là à descendre quelqu’un de cette façon ! 19 heures d’interrogatoire alors que les deux tests étaient négatifs ! Il avait même demandé à être soumis au détecteur de mensonges… Pourquoi cette obstination de la part de la police ? Était-ce pour faire un exemple ? Tous les amateurs du cinéma sud-coréen sommes sous le choc. Dans le film The Exclusive: Beat The Devil’s Tattoo, Cho Jung-Seok rapporte un scoop au monde via sa chaîne sur un assassin en série. En récompense, il reçoit une énorme rémunération et est également nommé chef adjoint. Mais plus tard, il découvre que le véritable coupable est quelqu’un d’autre. Quand il en fait part à ses supérieurs, ils lui répondent « Et alors ? La machine est lancée, on ne peut plus faire marche arrière ».
J’ai écrit cet article pour exprimer mon désarroi, mon immense tristesse. C’est bien peu, mais je voulais lui faire mes adieux de tout mon cœur. Tout ce bombardement d’infos me parlant de son décès, ont été très difficiles pour moi, mais ce qui est encore plus dur, ce sont toutes ces informations qui arrivent aujourd’hui et qui ne parlent pas de lui. C’est bon, on passe à une autre chose, on va voir qui peut-on enfoncer cette fois-ci…
Vous allez fortement me manquer, M. Lee Sun-Kyun. Merci pour toutes ces années. Reposez en paix.