Critique “Accusé.e” par Clémence Baron : La parole d’une victime dans un procès pour viol

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Accusé.e est une pièce écrite par Clémence Baron (autrice de la pièce Fallacia), mise en scène par Clément Baal et Lucas Biscombe. Les représentations reprendront au Théo Théâtre dès que la situation sanitaire le permettra.

Le direct d’un procès pour viol sur mineure

Le temps de la représentation d’Accusé.e, la scène se transforme en cour d’assise. Ce qui se joue devant nos yeux, c’est le procès de Gaspard Valeur, interprété par Alexis Hubert. Ce fils de bonne famille est accusé d’avoir violé Louise Leduc (Clémence Baron), alors âgée de 17 ans, après l’avoir droguée. Cinq ans après les faits, Louise Leduc est à nouveau interrogée afin de se justifier et de raconter sa version des faits. Gaspard Valeur quant à lui peut présenter la défense qu’il a pu construire pendant ces cinq années. Au final, c’est davantage la vie de Louise Leduc qui est disséquée au procès, allant jusqu’au témoignage de sa mère (jouée par Mathilde Toubeau), plutôt que celle de l’accusé. Le procès est ponctué des interventions de l’avocat général (Brieuc Dumont), de la présidente (Romane Savoie) et du mystérieux Adam (Colin Doucet) qui s’adresse à Louise Leduc lorsqu’elle se retrouve seule. Les membres du public quant à eux campent les jurés d’assise et sont pris à partie durant toute la représentation.

Clémence Baron

La dénonciation d’un système judiciaire inhumain

La pièce se veut source de réflexion dans l’esprit du public quant aux défauts de la justice et aux conséquences humaines qui en découlent. Accusé.e dénonce à travers la bouche de ses personnages la lenteur et les injustices d’un système qui broie l’humanité. L’austérité réaliste de la mise en scène permet d’autant de faire ressortir la rudesse des éléments dénoncés. Au-delà de la lenteur judiciaire et de la violence de l’interrogatoire de la victime mineure au moment des faits, est également abordée la question de la correctionnalisation. Il s’agit de la requalification du crime en délit, le viol devenant une agression sexuelle sans pénétration, requalification extrêmement fréquente afin d’éviter la lourdeur d’un procès d’assise. Est posée également la douloureuse question de l’éligibilité au viol, de la crédibilité de la victime en fonction de son comportement ou de son apparence. La dénonciation la plus marquante reste celle de l’acquittement au bénéfice du doute, des raisons pour lesquelles un accusé peut ne pas être condamné malgré les doutes pesant sur sa culpabilité.

Clémence Baron

Une ode au courage des victimes

Créant un contraste avec la difficulté que représente le procès, Accusé.e met en avant le courage avec lequel Louise Leduc affronte cette épreuve. La pièce rappelle le courage nécessaire tout d’abord pour porter plainte contre l’auteur des faits, mais également le courage qu’il faut pour survivre jusqu’à la fin du procès et pour se reconstruire ensuite (reconstruction difficile qui était abordée par Andréa Bescond dans son seule en scène Les chatouilles). En France, environ 10% des victimes de violences sexuelles portent plainte, et parmi ces plaintes seulement 10% aboutissent à un procès en cour d’assises. Le dépôt de plainte pour viol est un processus extrêmement difficile et dont la difficulté est davantage accrue encore par le système judiciaire. Le courage d’effectuer une telle démarche est loué par la pièce. Accusé.e rappelle que la victime reste seule dans cette épreuve, quand bien même elle soit entourée, mais qu’il est important de continuer à se battre pour pouvoir enfin vivre à nouveau. Car quelle que soit l’issue du procès, c’est la vie qui attend à la fin de ce dernier.

Clémence Baron

Le message d’Accusé.e est très beau et très important : Aux victimes, continuez de vous battre pour pouvoir vivre et non plus survivre. A tous, battez-vous pour rendre la justice plus juste et que le dépôt de plainte pour viol ne soit plus un parcours du combattant.

Bande-annonce Accusé.e