Du 15 septembre 2021 au 16 janvier 2022, le Musée du Luxembourg met en lumière le travail photographique de Vivian Maier. À travers cette première rétrospective, le public découvre pour la première fois des archives inédites, découvertes en 2007. Comme des photographies que l’artiste n’a jamais tirés, des films super 8 jamais montrés, des enregistrements audio. Sous le commissariat de Anne Morin – directrice de diChroma photography, l’exposition révèle à quel point l’œuvre de Vivian Maier est colossale.
Portrait de Vivian Maier : d’une rencontre aux premières photographies
Vivian Maier est née en 1926 à New-York. Son père, Charles Maier, est américain, issu d’une famille d’émigrants autrichiens, tandis que sa mère, Marie Jaussaud, est française. Ses parents se séparent en 1929. Son frère, Charles William, est alors confié aux grands-parents paternels. Quant à Vivian, elle reste auprès de sa mère qui part vivre dans le Bronx, chez une amie, Jeanne Bertrand, une photographe professionnelle reconnue. Une rencontre qui fera découvrir Vivian et à sa mère la photographie.
Grâce aux photographies de sa mère Marie, nous savons que Vivian Maier passe une partie de son enfance en France, d’abord à Saint-Julien, puis à Saint-Bonnet-en-Champsaur, avant de retourner aux États-Unis, en 1938. Après la Seconde Guerre mondiale, en 1950, Vivian Maier revient dans le Champsaur pour vendre aux enchères la propriété de sa grand-tante. À ce moment-là, elle parcourt la région munie de ses deux appareils photographiques en bandoulière.
De nourrice à photographe, il n’y a qu’un pas
Après la France, elle rentre dans sa vie natale, New-York, en 1951 et se met au service d’une famille en tant que nourrice. Un an après son arrivée, elle investit dans un appareil photo, un Rolleiflex et commence à prendre ses premières photographies. Puis, en 1956, elle s’installe à Chicago pour exercer le métier de gouvernante dans la famille des Gensburg, un métier qu’elle exercera jusqu’à sa mort, en 2009, dans la même ville. C’est donc en parallèle de sa carrière de gouvernante qu’elle photographiera des scènes de la vie quotidienne tout au long de sa vie.
Sa situation lui permet non seulement de disposer d’une salle de bain privative qui lui sert de chambre noire afin de développer ses négatifs et ses films, mais aussi de s’adonner en toute liberté à sa passion, dès qu’elle a un moment de libre. Ainsi, elle a voyagé pendant six mois, entre 1959 et 1960, un voyage autour du monde où elle s’adonne à la photographie : du Canada, à Bangkok, en passant par l’Égypte, le Yémen, l’Italie et Champsaur.
Lorsqu’elle quitte la famille des Gensburg, sa pratique photographique change : elle passe du noir et blanc à la couleur, en utilisant plusieurs appareils tels qu’un Kodak ou un Leica. À partir de cette période, les négatifs ne seront ni développés ni tirés jusqu’à la découverte de son œuvre en 2007, par John Maloof.
Des photographies singulières comme le témoignage d’une époque
La singularité de ses photographies tient également au statut-même de la photographe. En effet, Vivian Maier est une femme qui exerce un art considéré comme plutôt masculin. De plus, elle appartient au milieu populaire et à la domesticité. Autodidacte, elle n’a jamais été introduite dans le milieu photographique.
Munie de son appareil photo, Vivian Maier flâne dans les rues et photographie des gens issus de toutes les classes sociales : de la bonne société comme des marginaux. Elle capture des scènes du quotidien et de rue, des portraits, des autoportraits, des photographies d’enfants. Se fondant dans la masse, elle capture ainsi des instants de vie, des moments furtifs qu’elle seule parvient à observer. En ce sens, elle a déclaré à l’une de ses connaissances : « Je suis une sorte d’espionne ». En effet, Vivian Maier possède un véritable sens de l’observation et cultive le goût du secret. Discrète, elle photographie les personnes souvent de dos ou avec un cadrage serré : soit les mains ou le bas du corps. Mais, elle laisse toujours entrevoir soit un indice sur la condition sociale, soit une émotion.
Dans ses photographies, apparaissent des lecteurs de journaux, des slogans sur les murs, des portraits d’acteurs et de politiciens, témoignant son intérêt pour l’actualité sociale. Ses clichés illustrent ainsi une passion pour la société dans laquelle elle évolue, tout en prenant position pour l’égalité sociale, les droits des travailleurs, des Amérindiens et des Noirs. Elle a également un réel intérêt pour la mode.
La commissaire de l’exposition, Anne Morin, déclare que « Vivian Maier avait un talent pour observer le présent avec une grande acuité. Elle pénétrait le tissu social. Et elle était capable de découvrir l’extraordinaire dans l’ordinaire. »
Une reconnaissance posthume
Tout au long de son existence, ses photographies restent inconnues et non publiées. Au total, nous avons retrouvé pas moins de 143 000 photographies, conservées dans des cartons et stockés dans un garde-meuble, des photographies qu’elle n’a pas pu voir dans son intégralité, faute de moyens pour les développer.
Mais lorsque la vieillesse s’installe, les soucis financiers apparaissent aussi. Son garde-meuble demeure impayé et l’ensemble de ce qu’il contenait, est mis en vente aux enchères, en 2007. Sous le marteau de Roger Gunderson, il y a eu trois acquéreurs : Randy Prow, John Maloof et Ron Slattery.
Un an plus tard, en 2008, Ron Slattery publie pour la première fois sur Internet les photographies. Mais sans pour autant retenir l’attention. Au même-moment, appréciant les négatifs, John Maloof s’attache à les développer et à les numériser. Il crée une page Facebook dédiée à Vivian Maier, publie un livre, produit un documentaire. En d’autres termes, il fait vivre son œuvre, tout en retraçant son parcours.
Seulement les images choisies et développées par John Maloof constituent aujourd’hui l’œuvre de Vivian Maier, ce qui brouille l’image de l’artiste. Les tirages tardifs sont grand format, avec un cadrage plus large et des tons plus contrastés. Alors que Vivian Maier choisissait des cadrages plus resserrés et s’amusait à composer l’image afin d’apporter de l’intensité.
Une première rétrospective
Vivian Maier est sans aucun doute l’une des plus grandes photographes du XXe siècle. Dans cette première rétrospective, le Musée du Luxembourg retrace le parcours atypique de cette femme photographe autodidacte. Atypique car c’est à travers son métier de gouvernante d’enfants que Vivian Maier nous livre une observation méticuleuse de ce qu’était la société américaine. D’abord, à New-York dès 1951, puis à Chicago à partir de 1956, elle photographie les grands changements politiques et sociales, en mettant en lumière l’illusion que représentent le fameux rêve américain et la modernité.