Marjane Satrapi, réalisatrice du très apprécié « Persepolis », signe avec « The voices » son premier film américain. Mettant en scène Ryan Reynolds, le film raconte le quotidien d’un tueur psychopathe, interprété par ce dernier. Le personnage converse avec ses animaux de compagnie, un chien et un chat, représentations du bien et du mal, et tue des gens sous les ordres du démoniaque félin.
« The voices » est une réussite inattendue, un long métrage surprenant et amenant parfois le spectateur au dépourvu. Satrapi manipule les émotions du spectateur avec un malin plaisir. Ce dernier se préparant à rire est constamment mis à l’épreuve par des séquences aux antipodes du rire. La réalisatrice joue également de manière ludique avec les clichés du film d’horreur.
Le long métrage est bien monté, peu surprenant dans la réalisation, mais suffisamment convenable et de qualité pour passionner le spectateur. Le montage, classique, permet d’introduire le personnage, d’abord benêt inoffensif qui va peu à peu se montrer sous son véritable jour, un danger mortel pour tout son entourage. Mais là où la réalisation excelle, c’est dans les passages d’un genre à l’autre. Car effectivement, « The voices » est souvent très drôle. Les dialogues sont bien écrits, les répliques sont jouissives, cinglantes et vives, elles fusent comme les coups de couteau du meurtrier et ont sûrement autant d’impact que cette lame ensanglantée. Les scènes de meurtres sont sombres, lourdes, violentes voire même choquantes. La réalisatrice ne lésine pas avec les convenances de l’horreur cinématographique, clichés, mais aussi effets indispensables à la peur. Mais au delà de ça, elle arrive en plus à immiscer des passages loufoques et absurdes qui rappellent au spectateur qu’il est devant une comédie, et l’oblige à rire jaune devant l’absurdité violente et terrifiante de la situation. Les stéréotypes apparaissent joyeusement, tel l’inévitable plan du tueur dans l’embrasure d’une porte, nuit enragée en fond, propre à l’épouvante souvent de mauvais goût.
Ryan Reynolds est épatant, il livre tout simplement sa meilleure prestation. Quelque part entre Anthony Perkins de « Psychose » et le personnage de la série « Dexter », il interprète ce tueur psychologiquement instable, détruit par son enfance, ne pouvant retenir ses pulsions meurtrières et à la recherche de réponses sur son état et sa personne avec brio. Une prestation prometteuse quand on sait qu’il va interpréter Deadpool, tueur psychopathe aux trois personnalités.
Mais « The voices » devient véritablement génial lorsque la réalisatrice s’attaque aux tréfonds de l’esprit de son personnage. D’abord de part la matérialisation des pensées de l’individu par ses animaux. Un concept de grande volée qui fonctionne parfaitement à l’écran. Un chat démoniaque, manifestation du mal, poussant son jeune maître à faire les pires horreurs. Un chien, ange gardien, parole réfléchie et censée, force tranquille et manifestation du bien. Ces deux animaux s’affrontent dans des joutes verbales jouissives et démontrent la complexité de l’esprit humain mais aussi, paradoxalement, sa simplicité. En effet, les thèmes sont immémoriaux et complètement simplistes, ce n’est qu’une banale opposition entre le bien et le mal, entre ce qui doit être et ce qui ne l’est pas, un dilemme omniprésent dans l’art. La complexité apparaît subtilement. Cette immortelle confrontation entre le bien et le mal prend ici un sens différent, presque réaliste malgré l’absurdité de certaines séquences du long métrage. La confrontation et le doute surviennent à échèle humaine, dans le simple esprit d’un individu banal, normal, vivant à chaque coin de carrefour. C’est également pour cela que ce doute entre le bien et le mal est représenté par des animaux rationnels, eux aussi communs et nombreux. Le personnage de Reynolds est en constante recherche de la distinction entre le bien et le mal, en constante recherche d’un équilibre, d’une acceptation de lui-même mais aussi des normes de la société qui l’entoure. Parce qu’au delà de sa propre distinction, qui est déjà floue, le personnage doit en plus appliquer en pratique ce qu’il pense être juste dans la société dans laquelle il essaye d’évoluer. La réalisatrice fait un travail incroyable sur l’esprit humain, bien plus complexe qu’il n’y parait. Ainsi, les premiers meurtres sont provoqués par un souci d’altruisme de la part du tueur, pensant, à cause d’un acte vécu lors de son enfance, qu’ôter la vie à ses victimes est un acte de charité, qui leur empêche ainsi de souffrir. Peut être une sorte de libération dans la tête du meurtrier, pour que les victimes quittent l’horrible conditionnement de ce qui les entoure, fuient la folie qu’il vit lui-même. Folie engendrée par son enfance compliquée et violente. La réalisatrice parle aussi de la différence, elle veut nous montrer à quel point cet individu est unique, perdu dans la conception du monde qu’il a, se complaisant dans un environnement artificiel fait de voix, d’animaux doués de paroles et de magnification du monde pour fuir une réalité qui l’accable. Satrapi, le temps d’une séquence indispensable mais cruelle et terriblement dure, confronte son personnage, sous l’emprise de cachets propices à sa guérison, à la réalité. Plus de chien ou de chat qui parlent, plus de jolis papillons, de meurtres doux et rassurants. Reynolds se retrouve confronté au sang, à la violence, la crasse, à sa détestable vie. Le personnage se retrouve face à la vacuité et le ratage complet de son existence. Le personnage préférant alors continuer de se complaire dans un faux monde idéaliste.
La réalisatrice vient présenter ce tueur, victime de son enfance et des troubles de son esprit, comme un drogué. Un individu qui se satisfait consciencieusement dans un monde mauvais selon la société, mais pourtant qui le rassure, le laisse évoluer en toute sérénité et calme, un monde dans lequel il est roi et où tout est sous contrôle. La réalisatrice ne le condamne pas. Dans « The voices », la psychothérapeute survit et demande même au policier d’aider son agresseur, le final suggère l’espoir en donnant raison au chien. A la différence de Hitchcock avec « Psychose », Satrapi décide de sauver son tueur, décide de continuer de croire que la société peut aider ces individus, continue de croire que ceux-ci ont véritablement un bon fond et qu’ils sont simplement dépassés par les évènements et les gens qui les entourent, et surtout par leur esprit lui-même…