Vous êtes lassés des privations du couvre-feu, que diriez-vous de voyager en Indonésie ? Emmanuel Lemaire a juste ouvert la porte dans Ma voisine est indonésienne.
Un voyage immobile
La couverture donne le ton, une femme emmitouflée passe devant un panneau où elle quitte Jakarta et chemine vers Charleville Mézières. Ma voisine est indonésienne s’ouvre par la première rencontre d’Emmanuel Lemaire avec une nouvelle voisine très expansive. Elle lui raconte des histoires folles sur les liens entre l’Indonésie, Dieppe et Rimbaud. Au départ, il n’y croit pas mais après un petit surf sur internet, il réalise que tout est plausible. Elle est fière de dire qu’elle n’a pas fui la corruption venue par amour de la culture française. Traductrice la semaine, Hibou est une aventurière de la SNCF le week-end. Elle découvre non seulement la France par le train mais choisit des villes ignorées des guides internationaux : Dijon, Charleville-Mézières et des villes fréquentées par des écrivains (Châteauroux pour George Sand, Niort et Houellebecq…). Le lecteur découvre autant la France que l’Indonésie. Alors qu’elle découvre la France, le dessinateur découvre l’immense Indonésie par cette rencontre et quitte les lieux communs. Dans ce pays qui est le plus grand archipel, la population est majoritairement musulmane mais 25% du gouvernement est féminin.
Une voisine inquiétante dans une France menacée
Cette rencontre provoque des malentendus culturels entre Emmanuel et Hibou. Une blague du dessinateur passe mal alors qu’elle lui fait peur à cause de ce qu’il trouve sur sa ville sur internet. L’humour dans Ma voisine est indonésienne vient de l’étrangeté de la voisine qui fait soigner l’urticaire avec un couteau ayant tué quelqu’un, mais également des maladresses du dessinateur. Au départ, la voisine paraît étrange à Emmanuel Lemaire. Hibou vient de Makassar dont la réputation est d’être une ville de criminels d’honneur. Elle a peur de chaton et danse de joie en voyant de la neige mais ne craint pas de voyager n’importe où en France. En fait, cette voisine est en quête de liberté. Elle semble contente d’avoir quitté une société corsetée de la vie privée à la mode.
Avant Ma voisine est indonésienne, l’auteur a déjà publié deux récits de voyage comme Rotterdam, un séjour à fleur d’eau mais le confinement l’a-t-il contraint à trouver l’étranger au pas de sa porte ? L’épidémie arrive à la moitié du livre comme une rumeur d’une tempête en approche mais rien ne vient avant le coup de tonnerre du confinement qui clôt le livre. Les contacts du dessinateur avec sa voisine se limitent alors à des conversations par sms.
Un dessin qui voyage
Le dessin d’Emmanuel Lemaire ajoute par ces volontaires maladresses l’élément humain au récit. Chaque page est réalisée au stylo en noir et blanc. Ses traits irréguliers rendent l’humanité de l’histoire. Les visages sont proches de Cabu mais avec des paysages urbains très détaillés. On sent qu’au minimum, Emmanuel Lemaire travaille avec des photos. Sa mise en page est très fluide et subtile. Elle peut divaguer et être très fluide quand Madame Hibou se promène en France, et très rigide avec un gaufrier très serré quand le confinement arrive.
Par Ma voisine est indonésienne est une nouvelle perle de la collection Shampooing chez Delcourt. Le lecteur redécouvre la campagne et les petites villes de France par des yeux étrangers. Une fois le livre fermé, le lecteur se sent plus riche de ce qu’il apprend et de cette belle relation humaine.
Si vous aimez les voyages, nous vous conseillons notre chronique sur Gotham ou sur un hôtel étrange au centre des États-Unis.