Crossover de Donny Cates : critique d’un premier tome magistral

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Donny Cates possède un amour et une connaissance assurés de l’univers des comics. Cette mythologie moderne l’accompagna tout au long de sa vie, l’aidant même à surmonter les accidents de la vie. C’est donc avec passion et talent qu’il a commencé son travail d’auteurs de comics. Oeuvrant d’abord pour la Maison des Idées, il entame très vite une carrière de créateurs indépendants. Sa série The Paybacks, éditée ce mois-ci chez Urban, a révélé toute la richesse d’un univers fait de références, d’hommages, d’irrévérences et d’invention. Avec Crossover, Donny Cates et son camarade le dessinateur Geoff Shaw décident de faire exploser les frontières du multivers et de créer le crossover ultime.

Crise multiverselle

Denver, 2017. La métropole du Colorado devient le théâtre d’un choc cosmique. Les super-héros et les vilains du monde des comics débarquent en effet dans le monde réel. Leur arrivée déclenche une catastrophe sans nom : la ville est dévastée, les morts se comptent par milliers. Pour enrayer la contamination, un dôme protecteur recouvre la ville. Mais le mal est fait. Les comics sont devenus un objet de haine. Lecteurs et écrivains deviennent suspects et victimes de la vindicte populaire habilement exploitée par des meneurs populistes.

Envers et contre tout, Ellie travaille dans l’un des derniers comics shop du pays. Fréquemment exposée aux fanatiques de tout bord, elle tente de faire vivre cet îlot de liberté. Mais lorsqu’elle découvre dans sa boutique une petite fille issue d’un comic, sa vie bascule. Bien décidée à aider l’inconnue, elle décide de retourner à Denver et de percer les mystères du dôme et de l’incursion. Sans savoir qu’elle va plonger dans un monde où fiction et réalité sont très liés.

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Crossover :  la lettre d’amour aux comics

Donny Cates convoque pour son premier tome l’intégralité de l’univers super-héros. Certes, il ne peut pas les utiliser directement (sauf les personnages de sa propre série The Paybacks) mais il les cite en permanence. Ainsi, le lecteur reconnaît aisément ses idoles, leurs némésis réunies dans un festival de couleurs et d’action. Car l’histoire ouvre sur un monde sans limites. Celui où la fiction s’entrechoque avec la réalité. Celui où le pouvoir des cases rencontre la fragilité humaine. Il interroge alors notre fascination sur ces quasi Dieux qui hors de l’Olympe deviennent des menaces mortelles.

Crossover lorgne dès lors beaucoup vers les interrogations d’Alan Moore, notamment celles développées dans La Tempête, le dernier acte de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Face au monde du fantastique, l’univers réel chez Moore ne fait en effet que peu le poids. L’humanité pour survivre est alors obligée de s’exiler. Donny Cates propose cependant une réponse différente à cette confrontation. L’humanité de Crossover se renferme sur elle-même, surveille, met sous cloche.

Elle se méfie des méta-humains car comme le dit très justement Lex Luthor dans Batman vs Superman « si Dieu était tout puissant, Il ne pouvait pas être bon. Et que s’il était bon, Il ne pouvait pas être tout puissant ».

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Une série très politique

The Paybacks, la précédente série de Donny Cates regorgeait déjà d’un sous texte dense critique du capitalisme et de la loi du marché. Crossover va encore plus loin. Les premières pages en effet tirent à boulet rouge sur l’Amérique puritaine de l’ère Trump. Sans désigner nommément l’ancien président, ce premier tome brocarde les peurs d’une certaine Amérique arc-boutée autour d’un prétendu ordre moral. Tout y passe alors : les mouvements extrémistes rappelant les groupes ultra religieux ; les suprémacistes ; les gourous moralisateurs s’inspirant de Frédéric Wertham ; la construction du mur et la traque des fuyards.

Crossover explore encore plus profondément les tréfonds de l’âme humaine. La catastrophe de Denver conduit en effet la population à exclure l’Autre dans son ensemble. Les amoureux des comics-books, les dessinateurs deviennent autant de boucs-émissaires accusés d’être la cinquième colonne d’un ennemi inconnu. Devant l’inexplicable, l’irrationnel prend le dessus. Et seule Ellie semble conserver une part d’humanité dans sa quête de réponse. Mais l’histoire est loin d’être manichéenne. Elle interroge aussi sur notre fascination sur ses êtres d’exception. Peut-on réellement leur faire confiance ?

crossover 2 Crossover de Donny Cates : critique d’un premier tome magistral

Crossover : une réflexion sur l’histoire du comics

Ce volume distille des citations qui éclairent sur la portée de ce récit. L’une des premières à apparaître reprend les mots de Frédéric Wertham. Ce psychologue né en Allemagne devient très influent aux E.U.A au milieu des années 1950 grâce à la publication de son étude Seduction of the Innocent. Dans cette analyse, il critique les comics accusés de pousser les jeunes vers la drogue, la violence et leur crime. Or son livre sort au moment où le Congrès travaille sur la délinquance juvénile. Il va donner du grain à moudre à l’offensive des censeurs et faire peur aux éditeurs qui vont adopter un Comics Code Authority afin d’éviter toute sanction. La conséquence sur la production est directe : les récits sont édulcorés, les personnages comme Wonder Woman jugée trop « féminine » et « avant-gardiste » sont réécrits.

Toute cette histoire, parfois méconnue du grand public, affleure à divers moments du récit. Avec beaucoup d’intelligence Crossover remet en perspective ce débat sans fin. L’image est-elle responsable de la violence ? Donny Cates renvoie à notre propre perception en rappelant que le dessin est un jeu, une métaphore. Comme les mots d’ailleurs qui peuvent mener autant vers la Lumière et que vers les Ténèbres. Ce qui le conduit à ne pas diaboliser les travaux de Wertham dont certains ont pointé du doigt les effets néfastes de la ségrégation raciale en milieu scolaire sur le développement scolaire. En définitive tout est question de choix, de raison et de recul.

Urban comics en éditant Crossover offre au lecteur un œuvre forte, intelligente et magnifiquement illustrée. Son auteur s’interroge sur la force de nos croyances et sur les dangers de l’omnipotence. Une seule certitude, nous attendrons avec impatience la sortie du second tome