Pour cette nouvelle livraison, la célèbre revue Métal Hurlant s’attaque à un autre mythe : l’écrivain d’horreur H.P. Lovecraft. Le lecteur profite alors d’un des meilleurs numéro depuis sa relance.
Des repères dans Métal Hurlant pour éviter le pire…
Comme à chaque trimestre, Métal Hurlant alterne entre de courtes nouvelles de bd et des articles de fond sur l’actualité culturelle. Ces textes permettent de rencontrer des artistes et de découvrir de nouvelles œuvres. Le lecteur régulier de la revue croise des habitués comme Jorg de Vos et Nikola Pisatev. Cependant, Métal Hurlant reste un lieu de défrichement en proposant des jeunes auteurs, autrices. La majorité sont des auteurs francophones mais on sent une ouverture internationale. Ce volume contient deux auteurs américains, le scénariste Vincent Bonavoglia et le dessinateur Matthew Allison tandis que Salvador Sanz vient d’Amérique du Sud. On peut cependant regretter la faible présence des femmes d’autant plus dommageable que Les Humanoïdes Associés ont republié en parallèle la revue féministe des Humanos. Comme dans les numéros précédents, cette douzième livraison de Métal Hurlant propose des styles visuels très différents. Les épisodes passent d’un réalisme brumeux avec Stéphane de Caneva à la douceur des autobiographies en bd d’Elene Usdin.
Au-delà des sujets variés, un thème plus ou moins précis structure la revue. Le numéro précédent sur les vacances était très lâche alors que ce volume consacré à H.P. Lovecraft est davantage resserré.
Ce thème commun n’empêche en rien différentes approches de s’épanouir dans Métal Hurlant. On le voit en particulier dans les bandes dessinées. Certains et certaines artistes proposent des récits très fidèles à l’univers lovecraftien. On retrouve des créatures obscures avec de multiples tentacules. La fin des nouvelles est souvent tragique. Des récits imaginent des suites inédites aux nouvelles de H.P. Lovecraft. Des bd s’intéressent au contexte de l’époque : Fred vigneaux sur Lord Byron. Au contraire, d’autres plongent l’auteur du XXe siècle dans notre présent. Salvador Sanz s’empare du texte originel pour montrer un apocalypse sur un paquebot contemporain. Dans un contexte post-Covid, une femme bascule dans la folie du ménage. Le lecteur est sonné à la fin de ce récit et ce choc illustre la force et l’actualité de Lovecraft.
La manière d’appréhender l’œuvre est aussi très variée. Certains partent d’une phrase des nouvelles pour imaginer un récit en hommage à l’imaginaire horrifique de Lovecraft. D’autres se détachent des codes en s’intéressant à l’auteur. L’hommage le plus fidèle se trouve dans Ils sont arrivés. Valentin Ramon reprend intégralement une nouvelle pour la mettre magnifiquement en image alors que Mo/CDM imagine le détournement le plus drôle : et si Cthulhu était votre voisin ?
Le seigneur de Providence n’est pas la seule influence des artistes. D’autres se font jour en particulier dans le dessin comme Junji Ito et une nouvelle rappelle Shining de Stephen King.
Une horrible nouveauté
Sans doute poussée par l’enjeu d’honorer un géant de la littérature populaire, l’équipe de Métal Hurlant bouleverse ses habitudes. Les conseils culturels situés avant chaque bd s’effacent devant une page biographique de Lovecraft. L’histoire de cette vie tourmentée se raconte alors sur l’ensemble du volume. l’artiste cherche à remonter aux sources des sombres récits : Lovecraft a eu un père absent et interné.
Des artistes prestigieux sont invités. Le dessinateur et scénariste Matthieu Sapin raconte sa découverte de l’auteur par les jeux de rôles. Le dessinateur actuel de Thorgal, Fred Vigneaux, éblouit de sa précision classique. Le scénariste aux multiples succès, Jose Luis Munuera débute dans le romantisme montagnard avant un retournement en dernière page. Ailleurs, des artistes sont choisis pour leur lien avec Lovecraft comme l’illustrateur des traductions espagnoles. Si d’autres artistes sont moins connus, ils démontrent dans leur bd le lien intime qu’ils entretiennent avec l’auteur comme Juliette Pinoteau.
Contrairement à d’autres numéros de Métal Hurlant, la quasi-totalité des textes est en lien avec le thème. Cela débute par l’interview d’un biographe de Lovecraft. Revenant aux faits, il s’attaque à l’image d’un écrivain reclus. Si ces articles sont réalisés par des passionnés, ils ne perdent pas pour autant leur sens critique. La face noire de Lovecraft est mise en lumière comme son racisme odieux.
Le lecteur rencontre le créateur du jeu de rôle L’appel de Cthulhu. Cette adaptation loin d’être anecdotique a permis à une foule de rôlistes de découvrir le reclus de Providence. Sandy Petersen cherche à comprendre le succès de sa création quand Lovecraft était passé sous les radars. La rubrique cyberpunk revient sur le jeu vidéo Alone in the Dark, adapté de Lovecraft. Le mange-disque s’intéresse au titre que Metallica a consacré à L’appel de Chtulhu. Manifesto, rubrique consacrée aux tendances pop-culturelles, s’empare à la poésie de Lovecraft.
Pour son douzième numéro, l’équipe de Métal Hurlant s’est dépassé. En se concentrant sur la thématique centrale, le contenu des textes et la variété des bd démontrent la richesse passée et la portée contemporaine d’H.P. Lovecraft. Les artistes sont particulièrement inspirés ce qui est de très bon augure pour l’arrivée prochaine des cinquante ans de l’éditeur de la revue.