Critique « Journal d’un prof » de Fred Leclerc : une autre vision de la classe

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Alors que les médias ne cessent de parler de crise des vocations dans l’enseignement, Journal d’un prof présente un publicitaire arrivant dans une salle de classe. Mais le nouveau prof sera-t-il à la hauteur ?

Journal d’un prof, récit d’un changement de vie

Fred Leclerc nous avait déjà dévoilé sa vie dans son œuvre précédente sur l’adoption ratée d’un chien. Dans Journal d’un prof, il poursuit cette veine biographique mais en étant à la fois scénariste, dessinateur et coloriste. Dans les deux premières pages Fred Leclerc voit sa carrière s’effondrer. Dessinateur dans la pub, il est licencié au pire moment, trois jours avant le Covid. Ce changement inattendu est l’occasion d’une remise en cause personnelle amplifiée par le confinement et la mort de Samuel Paty. Fred ne voit plus d’intérêt à travailler dans la pub mais pense trouver du sens dans l’enseignement.

Avec Journal d’un prof, Fred Leclerc porte un regard distancié sur ce moment de vie. Il se présente comme un idéaliste voulant sauver le monde. Il imagine les enfants comme des anges en se basant sur sa fille et ses connaissances. Cependant, il manque d’assurance. Pour le concours, il travaille la théorie et la pédagogie mais oublie le cadre institutionnel. À l’oral, il se plante complètement. Pourtant, malgré une piteuse prestation, Fred est admis.

Dans un premier temps, Fred pense mener de front deux carrières : des missions dans la publicité et les cours d’art plastique en primaire. Devant la faiblesse des salaires, Fred prévoit des plages horaires pour réaliser des projets en free-lance. Cependant, il découvre l’importance de la préparation. De plus, l’intense pression stresse ses proches et les conseils de sa famille l’énerve car ces spécialistes autoproclamés n’ont pas franchi une salle de classe depuis des dizaines d’années.

Illustrant ce témoignage, le trait de Fred Leclerc est humain, volontairement hésitant. La mise en page stricte et classique s’efface devant le propos. Au contraire, la colorisation évite le naturalisme. Fred Leclerc choisit une seule couleur qui change selon le chapitre.

Le premier jour dans Journal d’un prof
Le premier jour dans Journal d’un prof

Journal d’un prof, le guide d’un débutant

Au-delà d’un cas personnel, la bd de Fred Leclerc décrit les premiers pas de tout enseignant. Le récit de son concours, de ses atouts et ses limites illustre parfaitement le caractère normatif du recrutement. Pourtant, sa carrière très spécifique. Fred Leclerc postule pour un concours existant uniquement à Paris, professeur d’arts plastiques en primaire.

Le lecteur du Journal d’un prof découvre les défauts du système. Le lecteur comprend le problème de ressources humaines avec la lourdeur de la machine administrative. Fred obtient le concours mais l’administration, faute de moyens, décide d’attendre un an pour lui donner un poste. Son première prérentrée est décrite comme un film d’horreur. Dernier dans la liste de recrutement, il se retrouve à 1 heure 40 de transport de son domicile.

Journal d’un prof se moque également de la passion de l’éducation nationale pour les sigles et le verbiage technique. Le contraste sur une page entre les textes officielles et les images en classe est redoutable. Fred est terrifié par les responsabilités mais ne reçoit aucune information ou préparation avant la rentrée. Ce n’est qu’à la fin de la première semaine qu’il reçoit son premier cours de formation.

Ses débuts sont logiquement un cauchemar. Il ne sait absolument pas gérer une classe. On le plaint en voyant l’agitation permanente si bien rendue par le dessin que l’on croit entendre les cris. Cependant, il s’attache progressivement aux enfants et arrive à saisir parfois finement leur psychologie. La préface d’un chercheur en pédagogie ajoute une touche positive. Fred trouve également de la chaleur dans les écoles avec ses collègues profs et sa tutrice. Il apprend la théorie et observe la pratique.

L’auteur en profite pour décrire la pluralité des métiers au sein d’une école. Il salue le courage des aides aux élèves porteurs d’un handicap qui se dévouent pour 700 € par mois.

Malgré la densité du propos, Journal d’un prof est facile à lire par des chapitres chronologiques et thématiques : avant la rentrée, première cours… Cependant, le lecteur découvre assez tard que Fred était stagiaire. De plus, la conception de l’autorité demeure très verticale. Le prof se doit d’être strict et ne rien laisser paraître. Fred tente de l’être mais le lecteur sent bien qu’il va à l’encontre de sa nature.

Édité par La Boîte à Bulles, Journal d’un prof décrit une année de montagnes russes émotionnelles. Le début montre un prof chahuté songeant à démissionner. Fred trouve une oreille attentive lui donnant une clé pour progresser. Un nouveau professeur cherche un idéal mais découvre une réalité contrastée et la difficulté de gérer une classe.

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